Le pouvoir de la mi-temps

Être largement mené à la pause, puis vaincre héroïquement. Les réactions de seconde période continuent d’attribuer un pouvoir fascinant aux mythiques 15 minutes. Analyse d’un temps mort sans cesse réanimé par la légende.

03.07.2016

C’est l’effet d’une canette ultra-gazéifiée qu’on ferait exploser contre un mur. Ou qu’on boirait pour pétiller ardemment quarante-cinq minutes encore. A chaque fois, la mi-temps récupère une poignée de joueurs ruisselant d’émotions à la recherche d’une issue, d’un appui, d’une voix. « Créez quelque chose que vous pourrez raconter à vos petits-enfants » lançait il y a peu celle de Jürgen Klopp à la mi-temps d’une demi-finale d’Europa League, alors que son Liverpool, mené 2-0, était broyé par son adversaire. Ce jour-là, la déception du onze red se muait en réaction détonante lors de la deuxième période; Liverpool passait 4 buts au Borrussia Dormund avant de se qualifier brillamment pour la finale. Des mots simples, qui ont suffi pour transformer la détresse du groupe en fervente marche de l’espoir. Klopp peut sourire. L’histoire, déjà culte, atterrira bien dans les bras de la postérité.

Mi-temps

Article publié dans « Le Matin Dimanche » du 3 juillet 2016

Liverpool-Milan en 2005, OM-Montpellier en 1998 (voir ci-dessous), Tottenham-Manchester United en 2001; le football aime dégager de sa mémoire ces « come-back » ahurissants. Les actes de ces pièces légendaires se confondent tous : une première période misérable, un public crachant son désarroi, une mi-temps au contenu hautement émotionnel, puis un réveil homérique au second round. Mais que fait fermenter la moiteur des vestiaires pour faire naître de tels miracles? « Personne ne le sait vraiment » assène Lucio Bizzini, psychologue et ancien préparateur mental de la Nati. « C’est justement cela qui donne sa puissance à la mi-temps. Elle représente l’unique moment où le football est totalement hermétique » affirme-t-il.

Présidents, journalistes, agents, familles; tous ces centres gravitationnels restent en dehors du champ de l’équipe pendant la pause. « De toute manière, les dynamiques de vestiaire sont difficilement compréhensibles pour ceux qui n’y font pas partie. Sans qu’elles ne soient forcément négatives, elles peuvent être chargées de vulgarité ou de violence verbale, un externe aurait du mal à décoder » étaye Lucio Bizzini.

Police au beau milieu d'une théorie

Alors, le thé et ses effluves impénétrables se déversent dans l’imagination collective. Au sommet du culte, la chaussure envoyée par Alex Ferguson sur la coiffure sculptée de David Beckham, tient son rang. D’autres scènes font se confondre mythe et mi-temps; Mourinho exigeant à tous ses joueurs de retirer leur maillot suite à leur performance indigne, Gérard Houiller crachant des dires si exorcisés qu’il dû ensuite rejoindre la clinique cardiologique du coin, ou encore l’intervention de plusieurs agents de police au beau milieu d’une théorie ultra-nerveuse de l’Ecossais Georges Graham, ces derniers redoutant le crime.

Antithèse d’un thé servi en salon, l’infusion de la mi-temps peut bien virer à l’effusion. Mais la chimie doit prendre, vite. «Si l’on compte 4 minutes pour l’aller-retour terrain-vestiaire et 3 minutes de relaxation, il n’en reste que 8 pour donner les consignes » décompose le psychologue Genevois. Quant à elles, il souligne l’importance de s’adresser « au groupe plus qu’à l’individu, afin d’éviter le phénomène du mouton noir, fatal à l’esprit d’équipe. »

« Un joueur rejoint toujours le vestiaire avec une émotion en toile de fond. » Luis Fernandez, préparateur mental

De son côté, Rolland Courbis, fier d’une expérience de trente ans dans le coaching, prône le même laconisme : « Vous avez le temps pour souligner deux éléments, éventuellement trois. Plus, et les gars sont perdus. » Statistique légitimant la mi-temps en tant que phase clé; le nombre de buts inscrit entre la 40 et la 50ème minute, la deuxième tranche de jeu la plus prolifique selon l’agence de statistiques Opta.

Luis Fernandez, préparateur mental dont il ne faut confondre avec son homonyme entraîneur, délivre dans ses ouvrages une méthode permettant d’optimiser les précieuses secondes : « Un joueur rejoint toujours le vestiaire avec une émotion en toile de fond. Ce sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction est produit par ses actions de la première période. Si le temps mort lui permet de récupérer physiquement, elle ne lui laisse pas encore de répit émotionnel. » Tel un champ à labourer, le mental des joueurs doit d’abord être « recalibré » par la détente ou la parole de l’entraîneur, avant qu’il puisse assimiler de nouvelles consignes.

Vestiaire-maillots-manchester-united-2014-2015

Toutefois, le football aime raconter que les fameuses 15 minutes disposent de leur pouvoir propre, outrepassant largement l’influence du technicien. « Comparons un retournement de situation post-mi-temps à un succès par KO en boxe. Avouons-le, un bon crochet qui vous nettoie le statut de favoris de l’adversaire et le match dans le même temps, cela vaut bien 10 victoires aux points » déclarait récemment Steve Claridge, ancien attaquant de Leicester, au micro de la BBC. « Ces scénarios soulèvent les foules, mais elles n’arrivent souvent pas à comprendre ce qui a fait la différence. Alors, elles désignent la mi-temps et ses mystères, ses odeurs de transpiration, ses agressions verbales; autant de leviers venant faire s’élever la légende » épaississait Steve Claridge. Vraisemblablement, le temps mort n’a pas fini de conter ses fables immortelles.

Performance

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