Au cœur de l’« usine à rêves », l’académie de Southampton

Considéré comme le meilleur d’Angleterre, le centre de formation de Southampton doit sa réputation à ses prestigieux alumni, dont Gareth Bale. En son sein, moyens colossaux et obsession de la performance visent à façonner les rêves en opportunités

12.01.2018

En 2017, le Southampton FC a le vent en poupe. Bien installé dans le ventre mou de la Premier League et perçu comme le meilleur club formateur du pays, il vient d’être racheté par un homme d’affaires chinois pour 250 millions de francs. Pourtant, comme les paquebots qui amarrent en masse dans le port local, l’équipe nichée au bord de la Manche revient de loin. En 2009, Markus Liebehrr s’empare d’un club criblé de dettes, luttant péniblement en troisième division anglaise. L’entrepreneur Suisse désigne alors la formation comme chantier majeur. «Liebherr voyait la promotion de la relève comme un facteur de durabilité, explique Guillaume Legueret, auteur d’un long format sur les Saints pour le site d’information Sept.info. Il a rapidement lancé des travaux pour améliorer le centre d’entraînement, investissant près de 40 millions de livres. » À l’entame de la saison 2011/2012, Southampton célèbre son retour en Premier League en présentant neuf joueurs locaux dans son effectif. C’est seulement trois ans plus tard que le complexe sportif de Staplewood achève sa rénovation.

Caressant la bordure est du New Forest, parc naturel de 60’000 hectares aérant le comté du Hampshire, le campus s’habille de bois, respire le gazon fraichement tondu et écoute chanter les oiseaux. Mais cette quiétude n’est qu’un leurre. Comptant seize terrains d’entraînement, deux salles de musculation, une piscine couverte et de multiples espaces voués à l’analyse vidéo, Staplewood est un véritable royaume de la sueur dont la moindre parcelle sert le but suprême : produire des footballeurs professionnels. Par les médias britanniques, l’endroit est surnommé l’ « usine à rêves » ou encore l’ « Oxford du football ». L’excellence formatrice des Saints résonne particulièrement à l’été 2014, lorsque ces derniers encaissent près de 90 millions de livres en relâchant trois de leurs poulains (Luke Shaw, Adam Lallana et Calum Chambers), trois parmi de nombreux autres.

Reportage à Southampton publié dans « Le Temps » du 27 décembre 2017.

Shearer, Le Tissier, Walcott, Bale, Oxlade-Chamberlain : les noms de famille suffisent. Tous ont été constitués par l’expertise du club de Southampton. Mais pour ce dernier, ces stars sont aussi des arguments et des cartes de visite. « Les murs de Staplewood sont jalonnés des portraits de tous ceux qui ont réussi. Ils forment l’ADN du club, nous rappellent tous les jours que notre projet est valable » assène Matt Hale, responsable du centre de formation. Pour atteindre son bureau, il suffit de suivre le sentier de copeaux reliant le Markus Liebher Pavillon, luxueux cottage abritant l’administration du club, au baraquement principal de l’Academy Village. Sur un mur de la pièce, un large tableau liste les noms complets des 175 juniors, des M9 au M23. Pour eux, tout commence par un repérage. « En tant qu’académie de première catégorie, nous avons le droit de recruter des joueurs partout dans le pays dès l’âge de 12 ans. Mais cela coûte très cher, prévient Matt Ale. Nous n’avons pas les moyens de Manchester City, qui recrute très agressivement, et notre bassin régional est coupé par la mer et les forêts. Notre chance est de pouvoir compter sur 25 centres satellites répartis entre le sud du pays, le grand Londres et le Pays-de-Galle. » Comment, à travers un si vaste réseau, détecter les joueurs les plus prometteurs ? « Nous regardons moins les performances que le potentiel. Chaque sélection est parée d’incertitudes, mais nous suivons une systématique. Tout ce qui est analysable est analysé : la croissance musculaire, la taille potentielle, les années d’entraînement au moment de la sélection. »

Pour mettre en œuvre sa politique, Matt Ale se félicite de travailler « avec une vingtaine de recruteurs très talentueux », sachant identifier quels joueurs adopteraient habilement le style de jeu des Saints. « Toutes nos équipes jouent en 4-3-3, précise-t-il. Nous sommes l’une des seules académies anglaises à prêcher une circulation du ballon depuis l’arrière. C’est la meilleure façon de progresser. » Une fois enrôlés, les footballeurs en devenir sont intégrés à l’une des 11 équipes selon leur âge, et évoluent à travers trois phases de développement : Foundation, Youth puis, à partir de 16 ans, Professional. Ici, tout est graduel. L’internement (d’une à six nuits par semaine), la taille des bus pour les matchs à l’extérieur et l’intensité des séances d’entraînement. Car le succès passe par l’épanouissement personnel, le club bénéfice de sa propre cellule médicale, emploie des cuisiniers spécialisés dans la diététique sportive et collabore avec 46 familles d’accueil triées sur le volet, contrôlées toutes les 6 semaines.

 

 

Il faut admettre qu’au pays de la milliardaire Premier League, où les clubs jouissent de pouvoirs d’achat phénoménaux, la politique de Southampton détonne. À peine 12% des joueurs de l’élite anglaise est fourni par le système académique national. Pire encore, sur la dizaine de milliers de juniors circulant dans les centres de formation du pays, seul 0,5% parvient à accomplir une carrière professionnelle.

« A l’heure des managers éphémères, dont les contrats n’atteignent jamais leur terme, c’est le système de formation qui stabilise un club. », Matt Ale, Academy Manager

« Nous sommes conscients de cette réalité. Nous ne déclarons jamais aux parents que si leur fils nous rejoint, il va le faire. Nous leur disons juste qu’avec nous, il aura plus de chance » nuance Matt Hale, vantant que l’académie des Saints est l’une des plus prolifiques d’Angleterre. Il poursuit : « Ici, nous ne nous arrêtons pas sur des probabilités. Nous croyons en notre travail, qui est d’ailleurs massivement soutenu par la direction. A l’heure des managers éphémères, dont les contrats n’atteignent jamais leur terme, c’est le système de formation qui stabilise un club. Notre objectif est que la première équipe soit composée à moitié par des joueurs locaux. » Se levant d’un bond, il écrase un épais livre sur la table : « Toute la substance de notre philosophie, le Southamtpon Way, figure dans ce bouquin. » A la première page, les 10 commandements de l’académie reprend les bases : relever ses chaussettes, être à l’heure, serrer la main. Plus surprenant, aucun joueur n’a le droit de porter des chaussures de football de couleur tant qu’il n’a pas signé de contrat pro. Ceci « pour instaurer une vraie culture du travail », selon le Britannique.

 

 

Chapitre central de la méthode des Saints, les jeunes athlètes se voient imposés un programme soutenu de self-learning. « Il faut marquer la différence entre conditions favorables et assistanat. Le monde du sport est sans scrupule, nous tenons à ce que nos joueurs prennent leur destin entre leurs mains, clame Matt Ale. Tous les juniors de 12 à 20 ans disposent d’un iPad. Lors des déplacements notamment, ils peuvent y visionner leurs dernières performances ainsi qu’y lire des remarques personnalisées écrites par leur entraîneur. » Pour produire ce contenu, des caméras sont installées autour de chaque pelouse de Staplewood et les analystes vidéo sont encadrés par un département recherche et développement. La large équipe technique (plus de 50 entraîneurs sont actifs sur le campus) profite d’ailleurs d’un ambitieux plan de développement. « Nos procédés ne seraient rien sans des instructeurs de talent, affirme Matt Ale. Nous avons une vraie stratégie RH pour nos coaches, leur proposant des ateliers de formation continue ainsi que des observations pédagogiques. » Récemment, le staff s’en est allé visiter la prestigieuse école de musique Yehudi Menuhin dans le but s’inspirer des pratiques d’enseignements aux violonistes.

« La pointe de la pyramide est extrêmement fine. Nous sommes les deux; des faiseurs et des briseurs de carrière » Toby Roodwood, Education Manager

Mais, au sein de cette édifiante structure intégralement dédiée à la réussite, l’échec menace de tout temps. « La pointe de la pyramide est extrêmement fine. Nous sommes les deux; des faiseurs et des briseurs de carrière » martèle Toby Roodwood, à la tête du service éducatif. « Pour habituer les juniors à l’exigence extrême du métier de footballeur et sa forte exposition médiatique, les statistiques de performance sont affichées publiquement. Tous les jeunes n’arrivent pas à encaisser les efforts et la pression » regrette le pédagogue dont les bras dégoulinent de tatouages. Afin de vaincre les troubles anxieux, des psychologues sont mis à disposition. « Ils dressent un profil comportemental de tous les joueurs. Ce dernier nous suggère comment agir ou réagir avec eux, sur le plan sportif comme sur le plan scolaire » témoigne Toby Roodwood. L’approche des Saints se voulant être pluridisciplinaire, l’éducateur assure que sa responsabilité « n’est pas d’équiper les pensionnaires pour les terrains, mais pour la vie. »  Le programme life skills leur apprend donc à cuisinier, communiquer et gérer leurs finances. Et si un joueur rechigne à faire ses devoirs, il est sanctionné sportivement. « On a de moins en moins de problème à ce niveau-là, se félicite Toby Roodwood. Plusieurs joueurs évoluant aujourd’hui avec la première, comme James Ward-Prowse, ont montré l’exemple en affichant d’excellents bulletins de notes. »

Traversant le Markus Liebher Pavillon, les vestiaires, accolés les uns aux autres, dessinent un interminable couloir. L’allée débouche sur les rutilants quartiers de la première équipe. « Cet agencement est une allégorie du dur chemin à parcourir pour arriver jusqu’au bout, image Matt Ale. Il est capital que les jeunes puissent voir et interagir avec les pros. Cela permet d’entretenir leur rêve, de contextualiser des efforts qui restent très routiniers ». Quid des très nombreux qui n’atteindront jamais le bout de la voie? « Nous ne pouvons garantir un contrat professionnel à tous, concède-t-il. Mais une trépidante aventure, au moins. »

 

« On nous donne tout pour réussir »

Témoignage. Yann Valery a les mots surs. A 18 ans seulement, le longiligne arrière droit sait comment parler aux journalistes. « J’ai intégré le centre de Southampton il y a deux ans avant de signer un contrat pro l’année dernière. Avant, j’étais au Stade Rennais, je me suis fait repérer lors d’un tournoi international. Je me sens mieux ici. On nous donne tout pour réussir. » Évoluant en M23, la catégorie la plus élevée de l’académie disputant la Premier League 2, Yann gagne assez « pour se payer un appart’ » et s’entraîne déjà avec la première équipe. « Mes journées commencent à 9h00 autour du petit déjeuner. Ensuite, on fait des étirements avant de s’entraîner jusqu’à midi. Après le repas de midi puis la sieste, je travaille encore en salle de fitness. » Quand on lui parle de ses attentes, le Français rétorque machinalement : « Jouer en Premier League avec Southampton. » Un plan B? « Pas vraiment. J’ai voulu terminer le Bac dès que j’ai été transféré ici mais avec la charge de travail, ce n’était pas réalisable. »

Parmi les meilleurs formateurs d’Europe

Statistiques. Une récente publication du Centre international d’étude du sport à Neuchâtel (CIES) l’atteste : Southampton figure bien parmi les 50 clubs d’Europe formant le plus de joueurs pour les cinq championnats majeurs. Loïc Ravanel, collaborateur scientifique du CIES, ajoute que « Southampton engage probablement moins de moyens que les cadors européens dans son centre, ce qui induirait que sa présence dans cette liste est plus méritoire. » Actuellement, la première équipe comprend cinq joueurs formés au club ayant, selon les critères officiels, évolués au moins trois saisons au sein du mouvement junior entre 15 et 21 ans. « Ce qui est plus décevant par contre, c’est le temps de jeu des locaux en Premier League, constate-t-il. Cette saison, il se monte à moins de 3% du total pour les Saints. Pour comparer, Arsenal affiche un ratio de 20%. » Le chercheur tient à rappeler la dimension aléatoire du football : « Southampton a connu une génération dorée il y a deux ans. Aujourd’hui, on peut dire que Tottenham a pris le relai. »

« Nous devons rester très vigilants »

Scandale de pédophilie. En novembre 2016, l’ex-défenseur de Burry Andy Woodward déclarait au Guardian avoir été victime d’abus pédophiles dans les années 80, alors qu’il était membre de l’académie de Crewe Alexandra. Un pavé dans la marre qui a ricoché. Un an et de nombreuses investigations plus tard, la police britannique répertorie 331 clubs, 285 suspects et 784 victimes. « Nous vivons à une époque où les menaces envers les enfants et autres groupes vulnérables ne font que s’accroître, expose Margaret Sainsbury, en charge de la sécurité et du bien-être des résidents de l’académie des Saints. Nous faisons tout ce qui en notre pouvoir pour prévenir les abus, la maltraitance ou le harcèlement. » Margaret Sainsbury déclare « collaborer étroitement avec toutes les parties prenantes impliquées dans le centre de formation », ceci afin que « tous les soupçons soient immédiatement reportés via les canaux prévus. » «Au-delà du dispositif, nous devons rester très vigilants, répète-t-elle. La saison prochaine, les catégories féminines vont intégrer le campus, impliquant l’extension de notre champ de protection. »

Performance

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