« La plus grande éruption de l’histoire islandaise »

Acclamées par le monde entier pour ses performances à l’Euro, l’Islande et sa maigre population n’avaient jamais vibré de telle manière. Entre rêves de grandeur et histoires à raconter, l’exploit laisse un vaste héritage

03.08.2016

La Bankastraeti, principale ruelle touristique de Reykjavik, n’est pas prête de pâlir. Les boutiques remplies de laine de mouton, ces maisonnettes aux couleurs chaudes et aux toitures tranchantes, sont toujours vêtus de leur tenu d’été : des posters brandissant les visages de l’équipe nationale islandaise. Sur Ingólfstorg également, la place publique où tous les matches de l’Euro 2016 ont été diffusés sur grand écran, le bleu ocre continue d’affluer.

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Reportage publié dans « Le Temps » du 4 août 2016

Le cœur d’Ingi Einarsson, trainant sur les lieux, bat allègrement, rythmé par l’euphorie ambiante : « Nous avons vécu quelque chose de simplement merveilleux, et ressentons une double fierté. L’une pour la performance sportive, l’autre pour l’attitude exemplaire de nos supporters, louée à travers le monde entier. » Sur le web, la vidéo mettant en scène 10’000 Islandais détonant un épique viking clap dans le centre ville de la capitale, célébrant le retour de leurs héros, s’est amplement propagée. Symbole de cette ultime viralité; le fameux « Hu! » a été jusqu’à se faire adopter par les supporters du pays hôte. Pour Ingi Einarsson, cela ne fait aucun doute, « le mythe viking, directement relié à l’Islande, vient de renaître grâce au football. »

Le ballon a gagné tous les coeurs

Terre des sagas, ces récits de famille construits autour des grands conquérants vikings, l’île se berce toujours à la mythologie : « Pour nous, les rapprochements entre notre identité antique et nos exploits footballistiques sont évidents. Dans l’Edda (ndlr : fameux livre du poète islandais Snorri Sturluson, présentant les fondements de la mythologie nordique), la mort du géant Ymir, tué par les fils d’Odin, marque le début du monde, son corps étant recyclé en matière. La victoire face à l’Angleterre, ce géant du football, a fait naître une nouvelle ère pour le sport islandais » compare Ingi, rêveur. « Ici, tout le monde s’intéresse au ballon rond désormais » prétend-t-il, avant de se jeter dans un taxi.

L’impression donnée est celle d’une terre sauvage, magistralement moletée par les Dieux.

Il suffit de prendre la Ring road, grossière route sillonnant le pourtour de l’île, pour se confronter à cette Islande féérique. Au diable les attractions touristiques; les merveilles sont enracinées au moindre centimètre carré du territoire. Les plaines fumantes appellent le feu, le plus grand glacier d’Europe (Vatnajökull) la glace, et le sable noir de Vík, vétuste village du sud, les plages de l’enfer.

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Pays façonné puis continuellement transformé par une intense activité volcanique (l’axe du pays est une rencontre entre deux plaques tectoniques), les géologues n’arrêtent pas d’en décrypter les phénomènes. Pour un œil non-initié, l’impression donnée est celle d’une terre sauvage, magistralement moletée par les Dieux. C’est à l’ouest de cette chaussée chevaleresque que l’ont peut rencontrer Daoi Rafnsson, responsable junior du Breiðablik Kópavogur, l’un des clubs les plus importants du pays.

La formation, trésor du football islandais

Le Scandinave tient à rappeler que « le football est le sport le plus populaire en Islande depuis les années 90 déjà », mais admet « qu’il n’a jamais eu une influence aussi importante qu’aujourd’hui. » Quant aux origines du miracle français, il dépose les vertus émotionnelles entre deux guillemets, mettant en relief des explications plus rationnelles : « Nous sommes un très petit pays, nous avons donc un faible potentiel d’innovation. Le secret, c’est plutôt notre système. A mi-chemin des deux cultures, nous avons conjugué le côté ambitieux et entrepreneurial nord-américain à l’efficacité du système social scandinave. »

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Dans la vision du formateur, si le football islandais a, cet été, tutoyé les sommets, c’est qu’il s’est bâti sur de solides bases. « A Breiðablik, toutes nos équipes juniores sont entrainées par des entraîneurs licenciés UEFA. C’est unique au monde. A 6 ans, ce sont généralement les parents qui vous coachent. Chez nous, ce sont des professionnels » vante Daoi. « Avec de maigres moyens, vous êtes condamnés à prioriser. En Islande, nous investissons dans ce qui compte vraiment. Vous ne verrez jamais un club brandir des billets à des mercenaires pour renforcer la première équipe; nous sacrifions le résultat immédiat pour la formation. Grâce à elle, nous pouvons développer le football et la jeunesse sur du long terme. Et vous voyez, cela commence à payer » sourit-il.

« Malgré nos performances internationales, notre championnat reste très faible. » Dani, entraîneur

Emballé dans une ample veste de training bordée du logo de son club, Daoi dénote toutefois une faille majeure : « Malgré nos performances internationales, notre championnat reste très faible. C’est un grand risque, car nos jeunes ne sont plus attirés par l’offre locale et s’envolent de plus en plus tôt vers l’Espagne ou l’Angleterre. Bien souvent, ils s’y cassent les dents. Après cela, ce n’est pas évident de les récupérer mentalement. »

Au delà des stratégies, le facteur aléatoire doit obligatoirement être mentionné. Combien de Gylfi Sigurðsson, leader technique de l’équipe islandaise et de Swansea City, l’avenir verra-t-il éclore ? « On ne peut donner tord à ceux qui parlent d’une génération dorée. Mais ici, nous sommes culturellement habitués à travailler plus que les autres. Et puis, désormais, tous nos jeunes rêvent de lui ressembler. Il y aura d’autres Gylfi, j’en suis convaincu » assène Daoi.

Au Vodafonevöllurinn, une maigre mais moderne enceinte plantée à quelques kilomètres du centre ville, les locaux du Valur Reykjavik affrontent IBV, le club des Îles Vestmann anciennement entraîné par Heimir Hallgrimson, le dentiste devenu sélectionneur. Devant une tribune à moitié pleine, les deux formations de première division, à la peine sur chaque geste technique, projettent un constat clair : en Islande, il y a un grand et un petit football. Sigmar, supporter du Valur, rechigne toutefois à faire la différence : « Les prouesses de notre équipe nationale ont eu un impact énorme ici, beaucoup parlent de la plus grande éruption de notre histoire. Mais nous aimons aussi nos clubs. D’accord, le niveau n’est pas le même, mais ils représentent nos valeurs locales, nous permettent de nous retrouver entre amis. »

Entre deux contrôles de la poitrine complètement manqués, Sigmar rajoute : « peu importe sa force effective, l’Islandais a une énorme confiance en lui. Il ose rêver, il aime se faire des illusions. C’est cela qui permet à notre petite nation de faire de grandes choses. » Sur une île au relief aussi escarpé, vouloir soulever des montagnes n’est finalement rien de plus qu’un réflexe naturel.

Société

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