Dans la chaleur d’Everton

Dans un pays où le football est multimilliardaire et s’apparente toujours plus à un parc d’attraction, le quartier du Goodison Park rappelle à quel point le People’s Club est un anachronisme. Reportage-portraits de joueur, managers et petites mains du club historique d'Everton.

10.01.2019

« Born as a Blue, lived as a Blue, died as a Blue. » Bordant la Goodison Road, où se hisse la tribune ouest du stade, des plaquettes commémoratives incrustés dans de la brique rougeâtre rendent un hommage indélébile aux Evertoniens de l’au-delà. L’esprit communautaire se dégage aussi du pub d’en face, rouillé mais bondé. Et cette odeur de poisson frit. Et ces centaines de maisons décrépies qui, à quelques mètres près, font corps avec les vieilles tribunes boisées. Dans un pays où le football est multimilliardaire et s’apparente toujours plus à un parc d’attraction, le quartier du Goodison Park rappelle à quel point le People’s Club est un anachronisme.

Everton, c’est d’abord l’une des plus anciennes maisons du football britannique (1878) qui, non sans avoir aimanté quelques trophées, a surtout nourri sa mythologie d’illustres figures populaires. Everton, c’est Dixie Dean le cheminot qui marqua plus de 400 fois sous tricot bleu. Everton, c’est la Sainte-Trinité formée par Howard Kendall, Alan Ball et Colin Harvey dans les sixties, le meilleur milieu à trois de l’histoire pour certains. Everton, c’est encore Neville Southall, éboueur de métier qui en 17 ans passés chez les Toffees n’a jamais cessé d’essuyer les tirs. Sans parler de Wayne Rooney. Pour les fans, ce sont des Everton Giants. Et bien qu’à l’ère moderne la réussite semble plutôt s’amouracher des Reds d’Anfield Road (le dernier Merseyside Derby gagné par Everton remonte à 2010), les Blues ne cesseront jamais de la harceler. D’ailleurs, l’ethos maison a été placardé dans toutes les galeries du Goodison Park : « Seul le meilleur est suffisant. »

Reportage à Liverpool publié dans « la magazine L’EQUIPE » du 29.12.2018

Récemment, un journaliste local demandait au manager Marco Silva quelle était sa stratégie pour briser ce plafond de verre qui sépare les Toffees du top six de la ligue. « Les choses prennent du temps ici, car le club doit rester en symbiose avec son capital humain, répondait-il. C’est cela, le Everton Way. Croître ensemble, c’est croître lentement mais, surtout, durablement. » Ainsi, le plan de construction d’un nouveau stade au centre-ville s’intitule The People’s Project et la phase de consultation auprès des supporters dure depuis des mois déjà. Qui plus est, le club tisse une relation intime avec sa fondation, Everton in the Community, qui chaque année se voit remettre des prix honorifiques pour la qualité de ses programmes.

Ainsi donc, dans ce quartier du nord de Liverpool qui figure parmi les plus pauvres d’Angleterre, Everton n’est que le baromètre d’une communauté. Le pinacle d’une identité. Une identité qui s’exacerbe lors de la Boxing Week, période familiale et solidaire qui voit les Toffees se lancer dans la grande bataille de la Premier League tous les trois jours. Les employés de l’institution, du secrétaire au jardinier, ne connaissent que peu de répit cette dernière semaine de l’an. Pour le magazine L’Équipe, ils racontent leurs responsabilités, divergentes dans leur fonction mais similaires dans leurs valeurs. Ils racontent leur Boxing Day, ses lueurs et son labeur, du centre de performance de Finch Farm aux ruelles précaires du Blue Mile. Ils racontent leur Noël bleu, la tradition interdisant aux Evertoniens de déposer le moindre ruban rouge sur le sapin.

« Goodison en ébullition, c’est un spectacle magistral »

    • Nom : Graeme Sharp
    • Fonction : Everton Giant
    • Âge : 58 ans
    • Evertonien depuis 1979 et sa première saison au club

« J’ai eu le bonheur de jouer pour Everton pendant onze ans, de 79 à 91. J’ai été recruté par les Blues alors que je jouais à Dumbarton FC, en Ecosse, pour 125’000 livres sterling. Détrompez-vous, cela représentait une grosse somme pour l’époque. Mon histoire avec les Toffees, c’est une pure success story. Au total, j’ai marqué 160 buts pour Everton. Je suis le deuxième meilleur buteur de l’histoire club derrière Dixie Dean. Les années huitante étaient une période faste pour le club; on a raflé deux championnats, une FA Cup et une Coupe des coupes. Le Boxing Day nous réussissait bien, aussi. On en a gagné sept d’affiler, dont une victoire prestigieuse sur Manchester United trois buts à un. Gary Lineker en avait mis un, moi deux. Tout le monde dit que le football d’aujourd’hui est plus rapide, plus physique, plus technique. Peut-être. En tout cas, nous en ce temps-là, on ne se posait pas la question si oui ou non c’était décent d’enchaîner tous ces matchs. On voulait juste descendre sur la pelouse, ressentir cette énergie positive qui émane des fans à la période de Noël. De manière générale, tout était plus spontané. Par exemple, je n’aurais jamais pu planifier une célébration. Comment peut-on prévoir la réaction à une telle décharge émotionnelle ? Moi, quand je marquais, je me laissais bercer par l’éruption des virages. Goodison en ébullition, c’est un spectacle magistral vécu de l’intérieur. »

« Je n’aime pas Noël. Je n’aime pas Santa. »

  • Nom : Jimmy Martin
  • Fonction : Kit Manager
  • Âge : 70
  • Evertonien depuis la naissance, au club depuis 29 ans

« Dans l’âme, je suis et ai toujours été un Evertonien. Dans ma fonction, de la distribution des maillots aux inventaires des tenus d’entraînement, c’est moi qui supervise tout. J’ai quatre jeunes gars dans mon équipe, trois qui s’occupent de la première équipe et un des M23, la réserve. Moi, je suis à leur service mais reste ferme, c’est pour cela que j’ai toujours eu leur respect. Pour les matchs, comme tous se changent à la mi-temps, on prévoit quatre maillots par joueur pour avoir un peu leste. En fait, quand Everton m’a enrôlé en 1989, c’était pour conduire le car de la première équipe. Pendant douze ans, j’ai transporté des légendes vivantes, multiplié les aller-retour Liverpool-Londres et gagné bien quelques matchs désespérés contre le trafic routier. Être chauffeur, cela use. J’étais soulagé quand le manager de l’époque, Howard Kendall, m’a donné la responsabilité des équipements. Sinon, je vais être franc, je n’aime pas Noël. Je n’aime pas Santa. Lors de la Boxing Week, je me lève tous les matins à 6h00 pour venir ici et, au total, j’ai seulement six heures pour profiter de ma famille. En 30 ans de club, j’en ai vu, des choses. J’en ai vu, des managers venir puis repartir. Je suis reconnu pour avoir été le premier Kit Manager d’Angleterre, et pour avoir aidé à développer la profession. D’ailleurs, mes confrères me surnomment le parrain ! »

« La Boxing Week est une période où tout est exalté »

  • Nom : David Harrison
  • Fonction : Head of Football Operations & Club Secretary
  • Âge : 47
  • Evertonien depuis 1995 et son arrivée au club

« Mon rôle au quotidien est très varié, allant des aspects logistiques à l’administration des transferts. Je travaillais pour un autre club avant de rejoindre les Blues, ce qui fait de moi un Evertonien converti, comme ils disent. Servir ce club historique, c’est d’abord être à l’écoute de ses signes vitaux. A Everton, ce ne sont pas les résultats, ce ne sont pas les revenus. Ce sont les fans, qui ne vivent peut-être pas de leur passion mais pour leur passion, quasi-relieuse, envers l’institution. Quant à la Boxing Week, c’est une période où tout est exaltée, condensée : les émotions, les enjeux sportifs, les délais. Pour les déplacements de la première équipe, on doit être paré à toute éventualité. Ce matin par exemple, on a travaillé sur un plan d’urgence au cas où l’aéroport de Gatwick ne serait pas totalement opérationnel le 27 décembre. Aussi, la semaine de Noël étant celle des soldes, le trafic routier est drastiquement ralenti par les foules qui prennent d’assaut les centres villes. Il n’est jamais évident d’allier performance sportive et organisationnelle. Qu’est-ce qui est optimal, passer la nuit sur place ou ramener toute l’équipe juste après le match? C’est le genre de questions qui impactent directement la récupération des joueurs, vitale lorsque les rencontres à haute intensité s’accumulent. Il y a aussi les exigences des staffs techniques. Certains managers m’ont déjà demandé de changer d’hôtel d’accueil car, lors du dernier match dans cette ville, on était passé à côté. Au final, tout dépend du calendrier, de l’état de forme des joueurs, des résultats. Je me lève chaque matin pour tenter de donner un élan stable à toute cette volatilité. »

« Ce n’est plus comme avant, le football est devenu une industrie »

  • Nom : Bob Lennon
  • Fonction : Head Groundsman
  • Âge : 63
  • Evertonien depuis la naissance, au club depuis 30 ans

« En trente ans, la façon dont une pelouse d’un club de football se gère a drastiquement évolué. J’étais un travailleur manuel. Aujourd’hui, je suis un chimiste, un biologiste, un informaticien. Il faut de multiplies connaissances pour maîtriser les nouveaux équipements et répondre aux standards toujours plus exigeants de la Premier League. Pour accélérer la récupération de la pelouse, ce qui est plus que nécessaire à cette période de l’année, on utilise un système d’ensoleillement artificiel. Des lumières bleues pour les racines, des lumières rouges pour la poussée. Malgré la technologie, l’expérience reste primordiale pour prendre les bonnes décisions selon le contexte météorologique. Mon Boxing Day le plus fou, c’était il y a une vingtaine d’années. A la veille du match, je me souviens que quelques joueurs avaient improvisé une fête de Noël dans le stade vide juste après l’entraînement. C’était n’importe quoi, on a retrouvé des feux d’artifice dans le rond central. L’entraîneur était fou de rage. On a dû ratisser des heures et des heures pour qu’elle soit à niveau le lendemain. C’est certain, Everton est une équipe spéciale, qui a tout gagné dans les années huitante. C’était le Manchester City de l’époque. Pourtant, cela a toujours été un club familial, fondamentalement humain. Aujourd’hui, ce n’est plus comme avant, le football est devenu une industrie. Mais le relationnel envers les fans et les employés demeure toujours au cœur de notre culture, particulièrement pendant les fêtes. Cette approche humaine ne changera jamais. Si cela change, alors on ne parlera plus du même club. »

« Quatre matches en douze jours, c’est extrêmement agressif »

  • Nom : Aboul Shaheir (AS)
  • Fonction : Director of Medical
  • Âge : 55
  • Evertonien à l’intermédiaire de sa cinquième saison
  • Nom : Bruno Mendes (BM)
  • Fonction : Head of Performance
  • Âge : 36
  • Evertonien depuis cet été et l’arrivée de Marco Silva

AS : « C’est ma cinquième saison en tant que responsable médical du club, fonction occupée après avoir pratiqué en tant que chirurgien orthopédique pendant treize ans. Ma mission d’Evertonien? Elle cadre mon cahier des charges : être à disposition des joueurs 24 heures sur 24 pour protéger leur intégrité physique. »

BM : « Pour ma part, je suis arrivé à l’été 2018 dans le même temps que Marco Silva, le manager, en provenance du Benfica Lisbonne. Fondamentalement, ma responsabilité est d’optimiser la condition athlétique des joueurs du groupe pro. Ce qui n’est pas chose aisée. En Angleterre, surtout en Premier League, les standards sont bien plus évolués qu’au Portugal. Les joueurs doivent endurer des impacts violents, pouvoir tenir le ballon malgré des agressions qui, partout ailleurs, seraient sanctionnées par l’arbitre. »

AS :« Il est vrai que l’intensité relative au football pratiqué en Premier League demande un énorme travail sur le plan médical. On multiplie les échanges interdisciplinaires. Les informations passent et repassent des joueurs aux physiothérapeutes, transitant par Bruno et moi. On se lève tôt, car les rapports doivent être aux mains du staff longtemps avant le début des sessions d’entraînement qui débutent à onze heures. »

BM : « Pour cette semaine de Boxing Day, le focus va être mis sur la récupération. La récupération physique, mais aussi mentale. On essaye de ne pas séparer les deux.  Aujourd’hui, on dispose de passablement de données et de technologies pour accélérer la récupération physique, mais pas pour traiter la fatigue mentale qui se traite elle organiquement. »

AS : « Justement, on ne cesse de répéter aux joueurs qu’un sommeil et une diététique de qualité sont, malgré les tentations festives, de première importance pour qu’ils puissent franchir le cap sans contracter de blessure. »

BM :« Quatre matches en douze jours, c’est extrêmement agressif pour les athlètes. On met en place des stratégies, mais ce n’est pas un hasard si, malgré tout, le pourcentage de blessures durant cette période est le plus élevé de la saison. »

« Notre souhait était de donner à tous la chance de fêter Nöel »

  • Nom : Sarah Atherton
  • Fonction : Neighbourhood Manager
  • Âge : 28 ans
  • Evertonienne depuis la naissance, au club depuis cinq ans

« Ma responsabilité, c’est d’améliorer les standards de vie au sein du Blue Mile, autrement le périmètre historiquement evertonien. Cette zone de 10’000 habitations, comprenant les quartiers de Walton, Anfield, Everton et Kirkdale, est la quatrième plus défavorisée du Royaume-Uni. Avec mon associé, nous travaillons sur treize programmes socio-pédagogiques comme des cours de yoga, des sessions de boxe pour personnes atteintes de la maladie de Parkinson, l’animation d’une zone de jeux pour les plus jeunes ainsi que l’organisation de classes d’anglais pour les personnes réfugiées ne parlant pas encore la langue. Dans les faits, Everton est le premier club de Premier League à avoir créer une fonction orientée vers l’harmonie sociale du quartier. Plusieurs autres ont suivi. Notre fondation va fêter ces trente ans cette année, et la direction du club continue à mettre beaucoup d’énergie pour assurer son bon développement. Définitivement, le mois de décembre est le plus intense de l’année. Pour ce Boxing Day, notre souhait était de donner à tous la chance de fêter Noël, y compris les familles les plus pauvres. Nous avons mis à disposition nourriture et jouets. Toutes initiatives me prennent beaucoup d’énergie, mais m’en donnent en retour aussi. Cela permet d’apprécier à leur juste valeur des privilèges qui peuvent paraître dues. »

« En tant que club phare, Everton a des responsabilités »

  • Nom : Richard Kenyon
  • Fonction : Director of Marketing, Communications / Chief Executive of Everton in the Community
  • Âge : 43
  • Evertonien aussi longtemps qu’il s’en souvient. Au club depuis 2013

Au vu de ce qu’Everton représente pour moi, c’est un honneur d’y travailler. Au sein de l’organisation, j’ai un pied dans le club et l’autre dans la fondation. Ce qui m’anime en tant que CEO d’Everton in the Community, c’est de constamment augmenter l’impact tangible de nos activités. Nous sommes tout sauf une œuvre caritative superficielle, qui fait davantage de relations publiques que de travail social. Notre mission est de répondre à tous les besoins de notre communauté. Cette année, nous avons engagé plus de 20’000 participants à travers une quarantaine d’activités, ainsi que remporté deux distinctions d’excellence. Aux alentours de Noël, alors que les jours sont cours et les nuits sont longues, nos équipes établissent des contacts réguliers avec des personnes âgées souffrant d’isolement sociale. Nous avons aussi mis en place plusieurs offres d’aide aux sans-abris. En tant que club phare, Everton a des responsabilités, notamment celle de créer des différences positives dans la vie des gens. En outre, il est vital que la fondation puisse se développer au même rythme que le club, afin de rester aligner avec les attentes de notre base de fans. D’après un récent sondage, 97% de nos supporters se disent fiers de leur club d’abord et surtout en raison des activités menées par sa fondation. Ainsi, si nous avons un projet de stade sur le site de Bramley-Moore Dock aux abords de la Mersey, nous ne comptons pas délaisser le quartier historique pour autant. Au contraire, notre volonté est de laisser un héritage durable à Goodison. On a déjà investi 8 millions de livres dans des installations dédiées à la vie communautaire. Cette nouvelle étape est donc vouée à créer de la valeur pour le club comme la fondation, et cela doit être le cas pour tout ce que nous entreprenons. »

« La connexion avec les fans est très forte »

  • Nom : Leighton Baines
  • Fonction : Arrière-gauche
  • Âge : 34 ans
  • Evertonien depuis onze ans et plus de 400 matches

« En tant que joueur professionnel, toute la période du Boxing Day s’articule autour de deux choses : matches et récupération. Bien sûr, tous les membres de l’effectif ne font pas quatre fois 90 minutes. Le manager fait tourner, s’il le peut. Le calendrier est si dense qu’il n’y a aucun espace pour le relâchement mental. Immédiatement après le premier match, peu importe le résultat, tu dois te reconcentrer sur le prochain. D’ailleurs, on s’entraîne tous les jours, Noël et Nouvel An compris. Ce qui est particulièrement difficile à endurer, c’est de perdre la veille de la fête. Alors que tu es sensé passé du bon temps avec ta famille, tu es hanté par la mauvaise performance. Sinon, sur le plan physique, il suffit d’être à l’écoute de l’équipe scientifique. Au fil des années, tu retiens les conseils qu’on te donne, tu les appliques et continue de les appliquer si cela s’est bien passé la dernière fois. Et puis sur le terrain, après les deux trois premiers duels, la fatigue se fait déjà oublier. Il faut aussi dire que Goodison Park est une enceinte à l’atmosphère particulière, très familiale. Quand la connexion avec les fans est très forte, cela encourage à aller au bout de soi. »

Photos : Tony McArdle

Culture

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