L’avénement du footballeur total

Talentueux, super-riches et monstres médiatiques, les stars du football ne cessent de gagner en influence. Mise en lumière d’un statut transversal, celui du néo-footballeur

25.12.2018

Leader d'opinion

« Le football est le plus illustre phénomène de société de la planète. Imaginez le nombre de vies que l’on pourrait changer si le monde du ballon rond s’unifiait autour d’une même vision. » Ce vibrant discours d’espoir, bercé par les lèvres de l’international espagnol Juan Mata, a abreuvé l’audience d’un forum international tenu à Manchester début septembre. Là-bas, lorsque le meneur de jeu des Red Devilsa exposé la visée de son action « Common Goal », encourageant les footballeurs professionnels à reverser 1% de leur salaire à des associations, les délégués en costard ont vrombi comme un kop. Une scène parmi tant d’autres, raffermissant l’influence des joueurs de football au sein des hautes et moins hautes sphères de la société.

Article publié dans « Le Matin Dimanche » du 16 décembre 2018

« Si l’affaire Neymar s’est appropriée l’attention médiatique durant tout l’été, c’est moins dû aux éléments structurels liés au transfert qu’à la forte personnalité du Brésilien » commente Christophe Jaccoud, sociologue du sport à l’université de Neuchâtel et au Centre International d’Étude du Sport. « Depuis les années 70, on assiste à une constante réévaluation sociale voire philosophique des footballeurs, développe-t-il.  Auparavant, on les admirait exclusivement pour leurs exploits sportifs, en gentils crétins. Aujourd’hui, ils sont devenus des symboles d’excellence, des modèles de réussite voire de moralité. » Révolue l’époque où les pros échafaudaient leur reconversion post-carrière en terrain conquis, ouvrant bars ou magasins de sport. L’hypermédiatisation précipitée par l’avènement des médias sociaux a engendré le culte de leur personnalité.

« L’attribut des footballeurs est passé du muscle au cerveau. Aujourd’hui, alors que beaucoup d’entre eux viennent de nulle part, ils participent à des galas et épousent des mannequins, exemplifie Christophe Jaccoud. La société leur ouvre ses sphères les plus réservées. » Au-delà des Thuram ou Cantona, dont les engagements politiques et artistiques font encore figure d’exception, on assiste à une prise de pouvoir douce et généralisée du footballeur, s’opérant de manière aussi naturelle que de publier sur Instagram. Sur Facebook d’ailleurs, deux des cinq pages les plus suivis appartiennent à des joueurs de football. « On assiste à la naissance d’une hyperclasse. Ces sportifs reconvertissent leur capital sportif en capital culturel, s’étendent toujours plus dans l’espace social » image Christophe Jaccoud. Il catégorise: « Certains deviennent des « people » quand d’autres agissent en précurseurs intellectuels. »

Hommes d’affaires

En juillet dernier, la massive communauté hispanique de Miami se trouvait doublement ruinée. Premièrement, les passe-droits pour assister au premier Real-Barça organisé sur sol américain avoisinaient les 300 dollars. Ensuite et surtout, la feuille de match madrilène pointait l’outrageuse absence de Cristiano Ronaldo. Le Portugais, disposant d’une audience digitale plus monstrueuse encore que celle de son illustre employeur, s’était échappée en Chine pour une tournée individuelle parfaitement inédite.

« Les clubs ne recherchent plus exclusivement des athlètes mais des personnalités charismatiques et actives commercialement. »

En fait, le « CR7 Tour » n’était autre qu’une résonante célébration du lifestyle si prisé des superstars du ballon rond, ces jeunes millionnaires qui malaxent le cuir de leur jet privé en training fluo. Cette indéniable montée en puissance des marques personnelles s’additionne aux nombreuses réussites entrepreneuriales des footeux. Les restaurants de Steven Gérard, le commerce vinicole d’Andrés Iniesta ou les adroites implications de Paul Pogba dans la mode en forment un bel échantillon. « Les grosses personnalités de l’industrie du football peuvent allouer leur notoriété à tout type d’affaire, explique Boris Helleu, directeur du Master en Management du Sport à l’Université de Caen. Aussi, on peut remarquer certains parallèles entre le monde de l’entreprise et celui du football, notamment au niveau des valeurs comme la quête de la performance ou de l’approbation. »  Pour l’enseignant, les footballeurs se lancent dans ce genre de projets « non pas pour accroire leurs revenus » mais plutôt « par passion, pour occuper l’esprit ou dans le but d’atteindre une plus grande gratification sociale. » « Bien entendu, ils ont les ressources pour » admet-t-il.

Sans aucun doute, la nature de ces investissements est également conditionnée par la fugacité caractérisant les carrières sportives. Car dédoubler une renommée d’athlète par différentes activités économiques permet d’accrocher une gloire plus durable. « La performance sportive étant travaillée par l’instabilité, la volonté marketing des footballeurs consistent justement à réduire cette part d’incertitude en faisant reposer leur capital sur ce qui dépasse les 90 minutes, décrypte Boris Helleu. C’est là où le métier de footballeur a évolué. Les clubs ne recherchent plus exclusivement des athlètes mais des personnalités charismatiques et actives commercialement, capables de satisfaire les sponsors. »

Patriarches

Zidane et Véronique, Beckham et Victoria, Piqué et Shakira. Sur le plan familial aussi, les footballeurs professionnels se distinguent. « À l’heure où deux unions sur trois sont condamnés à se dissoudre, ils restent attachés à un modèle conjugal conservateur, presque dépassé » analyse Christophe Jaccoud. Fruit des circonstances, bon nombre de joueurs de football deviennent pères la vingtaine à peine franchie, contrastant froidement avec la moyenne européenne positionné aux alentours des 28. « En général, dans les équipes de foot, il est bien perçu d’avoir ce point d’encrage représenté par la famille, élargit le sociologue. Les staffs technique considèrent toujours ce paradigme comme un atout, dans le sens qu’un athlète marié et père de famille n’éparpille pas son énergie à flirter en boîte de nuit. »

Gage de sécurité pour leur club et donc pour leur lucratif emploi, les footballeurs et leurs conseillers communiquent allègrement dans le sens du patriarcat. « C’est bien la vie familiale et personnelle qui identifie un public à une superstar » affirme Boris Helleu. Deux ans auparavant, une photographie de la famille Ibrahimovic au Parc Asterix, d’une banalité presque affligeante, avait placardé les followersde la star suédoise d’un paradoxe saisissant. Pourquoi Zlatan, s’égosillant à diffuser une image suprahumaine à la moindre de ses déclarations médiatiques, se réduit-il à poster de bien trop usuelles photos de famille ? « Il est clair que les footballeurs sont pris entre deux choses. D’un côté, ils ressentent l’injonction de présenter une face de bon citoyen, symbolisée par la fidélité conjugale et l’hygiène de vie de manière générale. Et d’un autre, ils sont tenus de montrer que ce sont des hommes et de vrais hommes, pèse Christophe Jaccoud. C’est ce qu’on appelle la masculinité hégémonique, une représentation très conjointe au sport de haut niveau. »

Si Ronaldo déroule une liste affolante de conquêtes, il s’expose médiatiquement en puériculteur enhardit envers sa progéniture.

Alors, les affaires Ribery, Benzema et Giroud s’opposent aux propos de Nuri Sahin, déclarant peu après l’attaque du bus de Dortmund n’avoir pensé qu’aux siens au moment des explosions. Cristiano Ronaldo, quant à lui, personnifie parfaitement la nuance du phénomène. Si le quadruple Ballon d’Or déroule une liste affolante de conquêtes, il s’expose médiatiquement en puériculteur enhardit envers sa progéniture. En outre, Chistophe Jaccoud tient à rappeler que les standards familiaux restent « publiquement très bien perçus », et qu’ « il ne faut pas négliger les enjeux marketing derrière tout cela. »

 

À jamais les pionniers

Sacro-saint Pelé

« Pelé est l’une de ces rares personnes contredisant ma théorie. Plus que 15 minutes de gloire, il va en avoir 15 siècles » s’exprimait Andy Warhol à propos du Brésilien. Il faut admettre que le palmarès de Pelé étale une richesse d’un autre temps, voire d’un autre monde. En vingt ans de carrière et deux clubs seulement, le « roi » s’est approprié trois Coupes du monde ainsi que les titres d’athlète et de joueur du siècle. « Comment épelle-t-on Pelé ? C’est bien simple : D-I-E-U » s’agenouillait un commentateur anglais lors du Mondial 1970. Lorsqu’il signe pour le New York Cosmos en 1974 dans un tonnerre médiatique, tout juste un an après avoir contracté un pétillant accord de sponsoring avec Coca-Cola, ce sont les embryons du football business qui peuvent être perçus. Par ailleurs, son club de Santos fut le premier à mener des tournées internationales afin de mettre en vitrine sa superstar. Bankableà souhait, Pelé expérimente le cinéma avec Stallone, la politique en tant ministre des sports du Brésil et même l’humanitaire avec l’UNICEF.

Platini comme Platon

Au diable les récentes attaques touchant ses responsabilités de haut-fonctionnaire, Platini reste l’un des plus illustres penseurs issus de l’univers du football. Captivant par l’apparence et l’énergie, il excellait sur les pelouses de Saint-Etienne et de la Juventus comme il le fera plus tard en costume trois pièces, accédant à la présidence de l’UEFA. « Je ne maîtrise pas le pouvoir que j’ai. Je suis crédible, je suis médiatique, je suis aimé par les gens » déclarait-il encore footballeur. Christophe Jaccoud se souvient d’une prestance qui, dans les années 80, détonait : « C’est l’un des premiers joueurs a avoir joui d’un statut social supérieur. Gianni Agnelli, leader de la Juve de l’époque, disait qu’il était l’homme le plus intelligent qu’il connaissait tandis que Coluche le conviait même aux Enfoirés. » Conversant dans « Libé » avec Marguerite Duras ou débattant avec des écrivains dans l’émission littéraire « Apostrophes », Michel Platini ne faisait pas seulement mine de; il tenait sa réputation.

Beckham le footballeur total

Une image rayonnante trônant sur une gloire sportive bien poussiéreuse; David Beckham personnifie l’immortalité conférée par le pouvoir de la marque personnelle. À l’époque des cheveux mi-longs et des coups-francs liftés dans la lucarne, l’ailier de Manchester United regardait déjà par-dessus les tribunes d’Old Trafford. La résonance de son mariage et son intarissable attractivité médiatique n’étaient pas celles d’un vulgaire tapeur de ballon, mais bien d’une icône diablement populaire. « Il est le premier joueur a avoir assumé l’identité du métrosexuel, ce jeune urbain qui prend soin de son corps et qui met du parfum, analyse Boris Helleu. Ces passages en Asie et sa vie à Los Angeles lui ont octroyé un statut marketing global que très peu de joueurs ou d’ancien joueurs ont. » Indéniablement, Beckham cartographie le point de liaison entre le football d’avant, à connotation exclusivement sportive, et le phénomène universel qu’il est aujourd’hui. RFA

Société

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