Le fan moderne, ce révolutionnaire

En rupture avec ses aînés, le fan nouvelle génération et son comportement de consommation alarment le secteur. Portrait-robot d’un hyperactif déjà en train de transformer le paysage médiatique du sport

25.02.2019

Ce n’était qu’une légère dépression, mais suffisamment révélatrice pour avoir été perçue comme un crash. Pour la saison 2016-2017, l’audimat de la Premier League, première division de football anglaise, a chuté de 14% auprès du diffuseur local Sky TV. L’opérateur susurrait alors au Financial Timesque l’audience globale de la compétition était à la hausse, mais que ses plus jeunes représentants se tournaient possiblement vers de nouvelles plateformes de visionnage.

Depuis, le signal faible a évolué en tendance de marché tangible, et alarmante. Son directeur a récemment déclaré que seul 14% de l’audience de la Formule 1 a moins de 25 ans. Dans une étude parue à l’automne 2018 intitulée « lost in transition ? », le cabinet d’audit PwC identifie même le mode de consommation des « millennials » comme la menace majeure pesant l’industrie du sport. Hyperactif, affranchi des grilles horaires et multi-médiatique, Le Temps a dressé le portrait du fan moderne à travers cinq changements de paradigme dont il est la source.

Article publié dans « Le Temps » du 21 février 2019

De passif à actif

Autonome, le fan moderne veut à être même de choisir précisément quoi, comment et quand il regarde. Sur un terrain médiatique toujours plus fractionné, il se tourne d’abord vers les plateformes de streaming de type « Over-the-top » (OTT) comme DAZN, souvent qualifiée de Netflix du sport, ou F1TV. « Plutôt que de subir les choix du broadcaster, les fans peuvent maintenant suivre en tout temps la course du pilote de leur choix ainsi que choisir les angles de vue » commente Murray Barnett, directeur du sponsoring et des partenariats commerciaux de la Formule 1 à Londres, dont la préoccupation majeure est le renouvellement de son audience. Après l’Olympic Channel inaugurée en 2016 par le Comité Olympique Internationale, la Premier League et l’UEFA ont récemment annoncé s’être à leur tour lancé dans l’OTT. Mais cette prise de contrôle dépasse largement les frontières du live. Armé de plusieurs écrans, le fan moderne semble avoir un appétit insatiable pour le contenu sportif, reflets ou analyses, qu’il consomme autant qu’il créé lui-même via une multiplie d’outils numériques. « Grâce à la technologie mobile aux réseaux sociaux, tout le monde est devenu son propre média » assène James Kirkham de l’agence créative COPA90 qui conseille Nike, Pepsi ou encore Visa,et touche plus de 750 millions de personnes chaque mois à travers ses contenus sportifs. Ainsi, la voix du fan moderne se veut portante, potentiellement capable de parler à une audience de masse. James Kirkham l’affirme : « Hier récepteur passif, il a brisé le schéma linéaire pour se muer en véritable acteur de l’écosystème communicationnel sportif. »

De subjectif à objectif

Si talk-shows et consultants pèsent toujours au sein du paysage médiatique sportif, ils ne sont pas « next gen » pour autant. Influencé par les jeux vidéo où les données chiffrées sont à la source de tout, le fan moderne a soif de statistiques, la nouvelle monnaie sociale. « La stat est devenue un standard, elle sert de caution à ceux qui interagissent à travers le sport » clame Matthieu Lillle-Palette, senior vice-président d’Opta. Hier, on se tenait aux avis parfois laborieux des experts. Aujourd’hui, la performance a été « factualisée ». » D’ailleurs, la société leader sur le marché des données sportives dispose d’une unité stratégique précisément consacrée à l’engagement des fans.

Les algorithmes de mesure de valeur comme ceux de Transfermarkt font déjà baisser d’un ton les débats verbeux.

Matthieu Lille-Palette insiste que le tout n’est pas d’amasser de la data, mais bien de la faire parler : « Nous avons une équipe éditoriale formée pour raconter des histoires sur la base des données froides. » Quant à la qualité d’un joueur de football, les algorithmes de mesure de valeur comme ceux de Transfermarkt ou de l’Observatoire du football font déjà baisser d’un ton les débats verbeux. De là à mettre fin à la « discutabilité » du sport, élément central de son succès populaire ? « Si le fan moderne raffole de statistiques, c’est d’abord pour pouvoir y appliquer sa propre expertise, juge Matthieu Lille-Palette. Les données n’expliquent pas tout, elles peuvent être sources d’interprétations diverses et variées. A mon sens, elles alimentent plus qu’elles n’annihilent le débat. »

Du réel au virtuel

Pour le fan moderne, les frontières entre le réel et virtuel sont infimes, si bien qu’il ne cesse de naviguer d’un univers à un autre sans forcément toujours faire la différence. Ainsi, le footballeur jouable de la franchise FIFA Alex Hunter anime son propre compte Twitter et des maillots portant son flocage se vendent via la boutique (physique) du Real Madrid. En mars dernier, le directeur des contenus de la Liga Roger Brosel a même avoué se baser sur les standards du gaming pour paramétrer la production des images du championnat espagnol de football. « Les fans de sport âgés de trente ans ou moins ont été éduqué par les jeux vidéo, soutient James Kirkham. Grâce aux bases de données et aux expériences toujours plus réalistes du gaming, ils ont acquis des connaissances encyclopédiques sur le sport qu’ils transfèrent du monde digital au monde physique et vice versa. »  Les célébrations inspirées du jeu en ligne Fortnite (comptant plus de deux-cents millions de joueurs fin 2018) d’Antoine Griezmann lors du dernier Mondial atteste encore de la prise d’influence de ces tiers-lieu digitaux, territoires d’expression du fan moderne.

De l’événementiel au permanent

A l’ère du FOMO (« Fear of missing out »), phobie sociale d’un déficit d’information, le fan moderne consomme le sport en continu à la façon d’un feuilleton. Les réseaux sociaux ont passé sous la porte des vestiaires et par-dessus les portails des résidences des athlètes, tandis que les documentaires immersifs pullulent sur les plateformes de streaming (« Club de légende : Juventus » sur Netflix ou « All or Nothing Manchester City » sur Amazon Prime). Ainsi donc, les événements compétitifs, bien que déjà nombreux, ne représentent plus que les traits d’union d’un mouvement de fond qui ne se stoppe jamais. « La nouvelle génération de fans est connectée de manière permanente, déclare Murray Barnett, notre mission est donc de la maintenir engagée bien au-delà des circuits. »

Sur ce marché sans frein, les créateurs de contenu ne connaissent aucun répit.

Récemment, la Formule 1 a mis sur pied une série de Fan Festivals dans les plus grands centres villes du monde – Miami, Milan ou encore Shanghai – permettant aux amateurs d’être au contact des voitures et des coureurs en période hors Grand Prix. Sur ce marché sans frein, les créateurs de contenu ne connaissent aucun répit : « Chez Opta, on travaille sans relâche pour développer de nouveaux outils analytiques et autres algorithmes de mesure, explique Matthieu-Lille-Palette. La demande pour de nouveaux moyens permettant de mieux comprendre le sport ne fléchit jamais. »

Du fanatisme au divertissement pop

Les préoccupations du fan moderne semblent être à mille lieues des revendications identitaires des « hardcore fans ». A l’heure où clubs et compétitions sont des marques plus au moins globalisées, les préférences sont davantage créées par le marketing que par les performances, encore moins par la proximité géographique. « Nous disposons d’une base de plus de 500 millions de fans dont les habitudes de consommation sont forcément très diverses, expose Murray Barnett. Nous nous devons donc de proposer une offre étendue. » 

Le fan moderne perçoit le sport comme une abondante source de divertissement pop aux protagonistes rivaux mais interdépendants, un peu comme le Marvel Cinematic Universe

Alors, la catégorie reine des compétitions automobiles a récemment demandé à Lewis Hamilton de balader Usain Bolt autour d’un circuit, ou encore invité le chanteur d’opéra Plácido Domingo à donner un concert avant le Grand Prix de Mexico. Il scande : « La Formule 1 est en train de pivoter d’une marque de sport automobile à une véritable plateforme de divertissement ». La collaboration entre la licence Nike Jordan et le PSG, ainsi que la Juventus Night organisée en décembre dernier à Brooklyn lors d’un match de NBA, ne représentent que deux initiatives parmi tant d’autres. Brandissant plusieurs écharpes selon les circonstances, le fan moderne perçoit le sport comme une abondante source de divertissement pop aux protagonistes rivaux mais interdépendants, un peu comme le Marvel Cinematic Universe. James Kirkham note d’ailleurs que, dans cet environnement « multifandom », « la fidélité du fan moderne envers les athlètes, ces nouveaux héros, dépasse largement celle qu’il pourrait ressentir pour une équipe. » 

 

« Le consommateur a besoin d’une offre cohérente »

Médiatiquement, le sport n’existe que le biais de son audience. Cette dernière se trouve plus divisée que jamais, scindée par la multitude de canaux qui gagnent, perdent puis regagnent les droits de diffusion. En plus des opérateurs endémiques comme les médias sportifs (DAZN) ou les ayant-droits (Olympic Channel), les géants du web comme Amazon, Facebook et Youtube se sont aussi lancés sur le marché. « Au-delà du débat télévision linéaire ou non linéaire, le vrai sujet reste la fragmentation médiatique » affirme le directeur marketing de l’UEFA Guy-Laurent Epstein, de passage à l’International Sports Convention de Genève en décembre dernier. Le morcèlement allant en s’empirant, la situation pourrait bien être un calvaire pour le fan de demain. « Les auditeurs sont contraints de souscrire à différents services, pour la plupart payants, afin d’accéder à l’ensemble des contenus, continue-t-il. Le consommateur de sport a aujourd’hui besoin d’une offre cohérente et entièrement intégrée. Consolider l’écosystème relève d’une importance majeure. »

Photo : Formula 1

Société

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