La Premier League à la conquête des écoles primaires

Via son initiative Primary Stars, la première division anglaise offre heures de cours et matériel scolaire à plus de 15’000 écoles primaires du pays. Un programme massif qui, au-delà des impacts sociaux, cherche à reconnecter la compétition milliardaire avec ses racines

01.09.2018

Jamaisla reprise de la Premier League n’a paru aussi proche de la rentrée scolaire. Au Royaume-Uni, pelouses émeraudes et tableaux noirs ont été appareillés, creusant un nouveau réservoir à inspiration. C’est dans celui-ci qu’on retrouve la verve d’Aashvi Agarwal, 6 ans, auteure d’une poésie dégoulinante de tendresse de la première à la dernière strophe : « Sometimes you need to count to ten, And try, try and try again. » En mars dernier, Franck Lampard, légende du Chelsea FC comptant 19 livres pour enfants à son palmarès, et Yannick Bolasie, l’ailier d’Everton qui s’adonne à des battle de rap sur Youtube, ont primé la création de la jeune liverpuldienne. Un jury savamment choisi pour trier les 25’000 partitions soumises par des écoliers de 5 à 11 ans, toutes frappées du sceau Premier League Primary Stars (PLPS).

Enquête publié le 1er septembre 2018 dans « Le Temps »

Ne pas s’y méprendre. Derrière l’ingénuité de son dernier concours littéraire, l’initiative sociale lancée en mars 2017 par la Premier League exhibe un appétit d’ogre. « Quand on pense que 15’000 écoles et 25’000 personnes ont déjà profité de l’offre Premier League Primary Stars, c’est juste géant. Et c’est sans compter les 50’000 livres que nous nous apprêtons à distribuer » s’exprimait fin avril le président de la ligue de football la plus riche du monde Richard Scudamore à Sky Sports News. Concrètement, le programme cible les établissements scolaires de niveau primaire localisés en Angleterre et au Pays-de-Galles. Et s’articule autour de trois axes : « le soutien des professeurs lors des sessions d’éducation physique, la mise à disposition de matériel scolaire et l’organisation d’événements inspirants », énumère Tim Stevens, responsable des projets Primary Stars au sein de la Saints Foundation, ramification caritative du Southampton FC. La fonction de l’éducateur est évocatrice. Car pour bien irriguer son nouveau concept, la Premier League a évidemment commencé par ouvrir les vannes. « Grâce à la revalorisation des subventions de la ligue l’an dernier, Southampton a pu créer quatre postes à 100% spécialement pour les projets PLPS, atteste Tim Stevens. Cet apport nous permet de supporter 16 écoles primaires situées dans notre zone d’influence. Celles qui, d’après nos analyses, en avaient le plus besoin. »

Par le biais de PLPS, ce sont donc les fondations des clubs environnants qui, armés de leur savoir-faire, s’attaquent aux cours de gym.

En parlant de besoins, David McParland, employé de la Liverpool FC Foundation, affirme qu’ils sont bel et bien effectifs. « En Grande-Bretagne, le cursus formant les professeurs d’écoles primaires ne consacre que six heures à l’éducation physique, déplore-t-il. Conséquences d’un enseignement lacunaire, les élèves sont souvent en proie à des problèmes de motricité ou de confiance en eux. »

Par le biais de PLPS, ce sont donc les fondations des clubs environnants qui, armés de leur savoir-faire, s’attaquent aux cours de gym. « La LFC Foundation propose depuis longtemps des ateliers d’éducation basés sur le sport, détaille David McParland, mais auparavant, on n’avait pas les moyens d’intervenir directement dans les écoles. » Par-dessus tout, le chargé de projet plaide la durabilité du programme : « L’objectif premier est de former les enseignants. On parle d’un véritable transfert de compétences, pas de visites porte-drapeau. »

Sur le plan organisationnel, PLPS dispose d’un système décentralisé, exploitant la dispersion organique des clubs pour bien couvrir le territoire. David McParland adhère à la vision de « miser sur l’autonomisationdes fondations locales plutôt que d’élaborer des programmes nationaux. » « Ce faisant, les jeunes développent des relations très affectives, conduisant à une plus grande implication », élargit-t-il. Selon Richard Scudamore, Premier League Primary Stars aspire à impacter l’ensemble des écoles primaires de la zone cible d’ici 2022, ceci en intégrant les réseaux communautaires de tous les clubs pros (jusqu’à la cinquième division en Angleterre). « Les impulsions doivent venir de la Fédération, approuve Tim Stevens, car les exigences en matière de coordination sont très élevées. » Une dépendance hiérarchique quelque peu naturelle si l’on considère le rôle de super-bailleur de fonds joué par la Premier League. Comme le démontre son dernier rapport annuel, 30% des revenus de la LFC Foundation provient de la ligue, 8% du club seulement.

« De par sa popularité, le football délivre une puissante plus-value motivationnelle » Tim Stevens, Southampton FC

Autre volet du schéma PLPS, le site plprimarystars.compropose une vaste base de données de ressources scolaires. Les enseignants peuvent y télécharger une centaine de fiches de travail listant précisément les bénéfices pédagogiques. Parmi elles, le concept Maths Attax incite les élèves à user de formules mathématiques pour comparer les statistiques de performance de deux joueurs, tandis que d’autres activités visent plutôt l’intelligence émotionnelle : «From « I can’t » to « I can »», «Teamwork», «Diversity»… Tous les exercices font allusion au sport roi. « De par sa popularité, le football délivre une puissante plus-value motivationnelle, allègue Tim Stevens. Le matériel Primary Stars peut réussir là où la matière traditionnelle échoue, en particulier auprès des élèves qui présentent des difficultés à s’impliquer. »

Niveau communication, l’enseigne PLPS, dont l’entité mère affiche des revenus de plus de 4 milliards de livres sterling pour la saison 2016/2017 selon Deloitte, ne lésine pas sur le budget.Pour enluminer ses campagnes, elle y place régulièrement les stars du championnat national et s’attache les services de la prestigieuse agence londonienne Y&R, mandataire de Chanel, Danone ou encore Emirates.« Premier League Primary Stars est une démarche RSE (ndlr : responsabilité sociétale des entreprises) typique. Ses objectifs sont à mi-chemin entre l’impact réel et les relations publiques, décrypte Michel Desbordes, professeur de marketing sportif à l’Université Paris-Sud. L’idée, c’est de faire interagir une entité lucrative avec une autre caritative pour actionner un cercle vertueux; la première récolte un bénéfice d’image, la deuxième profite des ressources pour soutenir une communauté. »

Le programme pourrait ainsi se caler opportunément dans l’écosystème du foot britannique, s’embourgeoisant à l’international mais continuant de représenter les classes défavorisées du pays. David Hellier, journaliste financier pour Bloomberg à Londres, abonde en ce sens :« Les clubs savent qu’il est important de créer un dialogue, de développer un sentiment de copropriété vis-à-vis des fans locaux. S’adressant aux plus jeunes, la démarche a le potentiel d’opérer un renouvellement générationnel et d’atténuer des pratiques marchandes de plus en plus agressives. »

« Traditionnellement, les pratiques anglo-saxonnes tolèrent voire préconisent les apports privés au sein du système éducatif », Michel Desbordes,

Restent les enjeux éthiques. Une marque sportive, toute actrice de la culture qu’elle soit, peut-elle décemment se muer en donneuse de leçons jusqu’à supplanter l’appareil scolaire? « Traditionnellement, les pratiques anglo-saxonnes tolèrent voire préconisent les apports privés au sein du système éducatif, rétorque Michel Desbordes, qui vient de publier l’ouvrage Marketing du sport : une vision internationale. Au sein des universités anglaises, on engage bien des cadres en provenance de multinationales. » En outre, il ajoute qu’« un bon timing est primordiale pour que de telles actions soient perçues comme authentiques. » Et celui-ci ne serait pas idéal. « Le lancement de Primary Stars coïncide avec les contestations du mouvement Save Grassroots Football, notamment relayé par le média The Sun et une pétition, revendiquant une plus grande aide financière de la première division envers les championnats amateurs, relate David Hellier. D’aucuns postulent que la Premier League réagit simplement aux pressions. »

Pour convaincre et percer l’écran de fumée charity business, force est constater que l’initiative devra démontrer générosité, ardeur et dévotion. Rien de moins que les valeurs du football local, en fait.

Crédit photos : Southampton FC, Liverpool FC, Premier League

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