A Paris, les créatifs récupèrent le foot

Longtemps affublé de « beauf » par l’élite culturelle, le football vit une renaissance dans la Ville Lumière. Des Rolling Stones à Louis Vuitton en passant par le cinéma, il est devenu un terrain d’expression pour les industries créatives

23.04.2018

La vidéo « PSG x Koché » éblouit la salle de presse du Paris-Saint-Germain. Fruit de la collaboration entre le club de foot et la créatrice de mode Christelle Kocher, le clip montre une poignée de mannequins aux regards blêmes et aux dégaines sophistiquées flânant sur la pelouse du Parc des Princes. De part et d’autre, le logo bleu nuit de l’équipe parisienne point sur les tissus multicolores. « On essaie de surprendre, de passer des frontières » s’exprime Fabien Allègre, directeur merchandising du PSG, à la fin de la projection donnée lors du salon européen du marketing sportif SPORTEM. Succès footballistique ou non, le manager parle « de diversifier la marque Paris-Saint-Germain pour qu’elle devienne globale, orientée « style de vie » et capable de s’adresser à un large public. »

La stratégie : démultiplier les partenariats et, dans le même temps, les relais de croissance. Outre le label Koché qui a permis au PSG « de s’inviter dans les plus grands magazines de mode » et de « vendre des robes à 2’500 euros » selon Fabien Allègre, le sextuple champion de France a monté des « collab’ » avec les Rolling Stones, Levi’s ou encore Thomas Sabot. « Ces actions permettent un transfert de valeurs entre les marques associées, précise le Parisien, et donc un bénéfice d’image pour les deux parties. » Car les tendances sont convergentes. Le foot veut de la culture, et la culture du foot.

Reportage à Paris publié dans « Le Temps » du 18 avril 2018.

A Paris, le ballon rond s’est sans conteste « gentrifié », roulant désormais dans les milieux les plus branchés. Jack Whelan, la trentaine, peut en témoigner. Cet Anglais passé par Verbier donne rendez-vous au comptoir à l’emporter Frenchie To Go, repère de hipsters niché dans le 2ème arrondissement. Aujourd’hui employé d’un bureau de tendances, il a rejoint la capitale française pour aider son frère et ses associés à ouvrir un bar pour la Coupe du monde 2014 : « Le projet, c’était d’attirer un public cool amateur de foot, pas seulement les fans. On a placé le bar dans le quartier festif de Bonne-Nouvelle et on a beaucoup travaillé pour faire venir des influenceurs, même si je déteste ce mot fourre-tout. » Les hôtesses présentes lors de l’inauguration et les posters de Samir Nasri portant le maillot de l’OM collés dans les urinoirs font leur effet : « Le Ballon FC » s’érige rapidement en bastion de la hype. Alors que l’endroit ferme quelques mois après son ouverture en raison du tapage nocturne, le staff a l’idée de convertir son ex-clientèle en l’intégrant à une ligue de football privée. « Le Ballon FC » devient alors « Le Ballon Football League », compétition exclusive rameutant huit équipes d’influenceurs.

« Quand un mec manque un match, c’est parce qu’il a une vraie excuse, comme devoir donner un concert au carnaval de Rio. » Jack Whelan, fondateur de la Ballon Football League

« Lors de la première édition, on avait le responsable de la communication du concept store Colette, le Menswear Designer de Dior, des artistes et des agents d’artistes, des DJs, énumère Jack Whelan. On a aussi a contacté Nike qui a tout de suite adhéré à notre vision. La marque finançait tout;  les terrains, les équipements, les entraîneurs. » Les joueurs, eux, sont castés sur la base d’un triangle vertueux : « le niveau d’implication, le niveau d’influence et le niveau sportif » assène le co-fondateur, qui assume que cette sélectivité est « probablement contraire aux principes historiques du football ».

Peu importe, le tournoi prend de l’ampleur jusqu’à parler à 17’000 abonnés sur Instagram (soit autant que Troyes en Ligue 1), s’exporte le temps d’un match à Brooklyn et s’installe deux fois à Clairefontaine. À l‘orée de leur quatrième saison, les partisans du « Ballon » ne collaborent plus avec la marque à la virgule mais continuent à expérimenter un football hybride, entre club décontracté et think thank créatif. « En 2016, on a mis sur pied une galerie éphémère avec un bar à maillots où les visiteurs pouvaient créer leur propre design » se rappelle le Britannique, qui répète sans cesse le mot « cool » comme s’il s’agissait d’un mantra. Pour ce qui est de la pratique, Jack Whelan prêche le pan brut du beautiful game : « Au boulot, nos gars entendent rarement le mot « non », donc ils trouvent cela rafraîchissant d’avoir un coach qui leur hurle dessus. Quand un mec manque un match, c’est parce qu’il a une vraie excuse comme devoir donner un concert au carnaval de Rio. »

 

 

Unique en son genre, « Le Ballon Football League » n’est pas le seul tournoi dédié à l’élite culturelle pour autant. L’ « Underground Football Club » fondé par Rod Reynolds et son agence DCONTRACT, dont la mission est de « réinventer la fête dans les interstices de Paris », s’adresse à la même population. « Beaucoup de faiseurs de tendances n’osaient pas dire qu’ils aimaient le foot et qu’ils avaient envie d’y jouer, relate Rod Reynolds. Ce sport était vu comme « beauf », traditionaliste et donc absolument incompatible avec l’avant-garde. On a capté ce public et fait du football un terrain d’expression qui colle à son système de valeurs. » Créé en 2014, l’« Underground Football Club » organise chaque mois des sessions de cinq contre cinq dans des décors insolites : parkings sous-terrain, usines désaffectées… Outre les bars qui séparent les différentes surfaces de jeu et la live music, c’est bien le rejet de la banalité qui conduit la cérémonie. « La finale se joue sur un terrain octogonal, agrémente Rod Reynolds, et elle est introduite par un défilé de mode. On veut vraiment casser les codes. »

Pour son édition 2018, la compétition liste ses équipes comme on ferait l’inventaire d’une luxueuse garde-robe : AMI, Kenzo, Louis Vuitton… « Cette année, il n’y a quasiment que de la haute couture » scande l’organisateur. Parce que les points ne se collectent pas qu’en gagnant des matchs mais aussi en partageant des photos sur les réseaux sociaux, la notoriété de l’« Undeground Football Club » lui vaut un alléchant contrat avec Adidas. « L’équipementier nous suit depuis le début, commente Rod Reynolds. Il partage notre volonté d’explorer le sport par la créativité. »

En marge de l’univers fashion, les expositions footballistiques sont devenues monnaies courante dans la Ville lumière, investissant tour à tour la Grande halle de la Villette, la galerie Sergeant Paper ou encore le Centre Pompidou. Paris a aussi son festival de films de football, « La Lucarne », actif depuis 2012. Son directeur Simon Tanguy note que « l’événement va bien au-delà des projections, il célèbre la richesse culturelle du sport roi. » « A côté de la dizaine de séances, nous organisons plusieurs animations autour du « foot culture », des rencontres avec les réalisateurs et des artistes » développe-t-il. Simon Tanguy se montre confiant vis-à-vis de la fréquentation de la prochaine édition (du 31 mai au 3 juin 2018) : « Cela fait plusieurs années que l’on fait salles combles, se réjouit-t-il. On réalise un gros travail autour de la programmation pour proposer des fictions ou documentaires inédits. Le public apprécie ce prisme décalé. »

« Nous vivons à l’ère de l’image. Les créateurs sont devenus des rock-stars. » Rod Reynold

Alors, si le « cool jazz » est né du génie de Miles Davis, le « cool football » compterait lui nombre d’instigateurs. Le responsable de « La Lucarne » évoque les lignes éditoriales des magazines SO FOOT et les Cahiers du football, tous deux basés dans la capitale et lancés au début des années 2000. « Ils ont su faire sortir ce sport des sentiers battus », affirme Simon Tanguy. Pour Rod Reynolds, ce sont les monstrueuses injections du fonds Qatar Sports Investments dans la marque et l’effectif du PSG qui « ont amené un vent de fraîcheur sur l’image du football à Paris. » « L’impact des équipementiers est lui aussi considérable » ajoute le directeur de l’agence DCONTRACT, qui a organisé début mars un atelier de création animée par David Beckham pour Adidas. « Dix ans auparavant, la communication des marques sportives était essentiellement axée sur la performance, avec des slogans méritocratiques incitant au dépassement de soi, décrypte-t-il. Aujourd’hui, comme l’illustre la baseline d’Adidas « Ici pour créer », on célèbre davantage la personnalité que le résultat. » Le message n’est donc plus de s’élever au-dessus du collectif, mais d’être suffisamment excentrique pour pouvoir exister en son sein. « Nous vivons à l’ère de l’image, appuie Rod Reynolds. Les créateurs sont devenus des rock-stars. »

 

 

En vogue, le couplage football/créativité s’inscrira-t-il dans la durée? « Les deux univers s’utilisent pour se démarquer, juge de son côté Jack Whelan, mais qui dit mode dit déclin. » Marquant une pause, il reprend plein d’autodérision : « Quand tous les gens cools se seront mis à taper dans ce stupide ballon, il leur faudra trouver autre chose. »

Robin Fasel, Paris

 

Complément : Paris n'est pas (encore) Barcelone

© SportCity

De passage à Lausanne à l’occasion du salon SportCity, Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris et en charge des questions relatives au sport dans la capitale, perçoit le football comme « un formidable outil pour opérer un renouvellement générationnel. » « Nous avons pour objectif d’organiser un grand événement sportif par année, dévoile-t-il. Le football et le sport en général doivent devenir des marqueurs identitaires de premier plan pour la ville. » Existe-t-il aujourd’hui un tourisme footballistique à Paris? « Pas encore, concède Jean-François Martins, mais nous y travaillons. Quand on entend que le musée du Barça est le plus visité d’Espagne, cela démontre la prise d’influence des clubs de foot sur la culture et l’économie des métropoles. » Le Grenoblois d’origine indique par ailleurs qu’il y a « une bonne collaboration entre le Paris-Saint-Germain et la Maire, débouchant sur des actions communes quand les intérêts convergent. » Quid de la montée en gamme du club? « Le PSG joue bien son rôle fédérateur, tempère-t-il. Au Parc, on peut y trouver Beyoncé avec Jay-Z et, quelques rangées plus loin, les Ultras. »

 

Complément : « Le football est au croisement de beaucoup d’influences »

© YARD

YARD a su se positionner sur l’immense échiquier communicationnel de la Ville lumière. À la fois média et agence, l’enseigne aide les marques à bien se saisir des tendances montantes. « On assiste à une « mainstreamisation » des codes de la rue : le hip-hop, le foot, le look casquette-baskets, recense Joan Prat, l’un des fondateurs de YARD. En fait, les univers s’entremêlent de plus en plus. La culture urbaine est devenue la culture pop, et la culture pop tend à devenir universelle. Le football d’aujourd’hui se situe au croisement de beaucoup d’influences. » Les réalisateurs du documentaire « Ballon sur bitume » ont pour mission de faire éviter à leurs clients le piège du trop facile : « Tout le monde n’arrête pas de communiquer sur un foot cool, créatif, proche des jeunes générations, remarque Joan Prat. Mais on tombe vite dans le cliché et le superficiel. » L’été dernier, YARD a travaillé avec Nike pour réaffecter le terrain d’enfance de Kylian Mbappé à Bondy, en banlieue parisienne. « Pour que le message passe, l’authenticité et la dimension sociale sont primordiales » prône-il.

Culture

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