L’Allemagne du foot, vestige du mur

En France, la Mannschaft de Jogi Löw s’affirme en favoris. En outre, sur ses feuilles de match, le champion du Monde ne liste qu’un seul joueur originaire de la défunte RDA : Toni Kroos. 25 ans après la réunification, la frontière sportive persiste.

02.07.2016

« Avec la réunification et l’arrivée des joueurs de la RDA, l’Allemagne va rester imbattable pendant de longues années. Vraiment, le reste du monde peut trembler! » Suite au triomphe de la RFA à la Coupe du monde 1990, les lèvres royales de Franz Beckenbauer, son sélectionneur, arrosaient cette victoire d’un flot d’optimisme. Il y a des lendemains qui déchantent. Lors de la saison 2015/2016 de Bundesliga, aucun club de l’ex-Allemagne de l’Est n’a concouru. A l’échelon inférieur, on y trouvait que deux représentants. Si le mur n’est plus, ce paysage sportif y ressemble étrangement. D’ailleurs, fin 2014, une étude du Frankfurter Allgemeine cimentait la cassure : « Sur le nombre total de joueurs de football professionnels en Allemagne, seul 6% d’entre eux proviennent du monceau Est. »

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Article publié dans « Le Temps » du 2 juillet 2016

En Allemagne, « football » et « éloges » s’épinglent au même tableau. Au-delà de la récente conquête du Brésil par la Mannschaft, les championnats teutons, loués pour leur spectacle et leur propreté économique, reçoivent plébiscites sur plébiscites. Mais quelque part sous cette montagne de reconnaissance se terre un trouble lancinant. « La frontière interallemande persiste et le football est le parfait terrain pour le démontrer. Le malaise ne fait pas beaucoup de bruit, mais il est bien là » assène Michael Richter, qui a longtemps entraîné la deuxième équipe du SV Empor, à Berlin. En fait, le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il relève de la régression. « Le football est-allemand vit une inquiétante période d’érosion » insiste le Berlinois.

A la fin du vingtième, la griffe « Ossi » perce grâce à quelques monstres comme Mathias Sammer ou Ulf Kristen. En 2002 encore, lorsque l’Allemagne est vaincue en finale de Coupe du monde par le Brésil de Ronaldo, l’équipe compte 7 joueurs issus de l’ex-RDA. S’en suit l’ère Michael Ballack. Né lui aussi en République démocratique, le milieu défensif a longtemps représenté l’arbre qui cache la forêt. Et puis, un courant glacial s’est élevé, soufflant ouest.

 

 

Responsable du recrutement à Wolfsburg, Stefan Branderburger invoquait dans les colonnes du Frankfurter Allgemeine une divergence d’abord budgétaire : « Il y a incontestablement des talents des deux côtés, mais à l’Est, il y a beaucoup moins de moyens pour les développer. Au niveau des infrastructures et du personnel surtout, la différence est énorme. Par exemple, à Wolfsburg, on ne se demande jamais si l’on devrait annuler un entraînement à cause de la neige, on enclenche simplement le chauffage de la pelouse. » Fatidiques, les chiffres indiquent que sur la trentaine d’Eliteschule des Fussballes que compte le pays, 26 d’entre-elles se trouvent à l’Ouest contre 9 seulement à l’Est. La relève aurait choisi son camp.

Pourtant, en Allemagne, la culture sportive a su s’extirper de toutes les cloisons. Le territoire de l’ex-RDA dénombre plus de 16 millions d’habitants, dont une bonne partie est ahurie de football. Un bassin à fortes potentialités ? « Pas vraiment », répond Hervé Bochud, entraîneur du FC Vevey Sports 05 et ancien footballeur professionnel passé par le FC Carl Zeiss Jena, champion de RDA en 63, 68 et 70. « Les fans sont bien présents et se déplacent par milliers, mais leur manière de supporter est franchement extrême. A Jena, la Horda Azzuro, le groupe d’ultras, a énormément d’influence » lance Hervé Bochud, qui a défendu les couleurs de Léna en 2008/2009. Il y a quelques années, alors qu’un mécène tournait autour des comptes du club, la Horda affichait en plein match : « Dans 5 saisons en deuxième division, dans 10 ans en faillite ! Qui payera la facture ? »

Aujourd’hui en quatrième, le Carl Zeiss Jena a, depuis la Wiedervereininug, surtout milité dans le troisième championnat national surnommé « la Ligue de l’Est ». « Quand j’y étais, le club évoluait justement dans cette 3. Liga où les derbys de la RDA s’enchaînent. A chaque rencontre disputée contre une ancienne équipe du régime socialiste, des drapeaux brûlaient. Lors du déplacement à Erfurt, premier rival du club, je me rappelle que la police escortait carrément le car et que, durant tout le trajet, il pleuvait des bouteilles en verre » narre le technicien veveysan, pas vraiment nostalgique.

« Lors du déplacement à Erfurt, premier rival du club, je me rappelle que la police escortait carrément le car et que, durant tout le trajet, il pleuvait des bouteilles en verre. » Hervé Bochud

Aussi théâtrale qu’elle puisse l’être, le foot est-allemand n’est pas seulement affecté par sa singulière fankultur. Les gouvernances, elles aussi, sonnent creux. Au Carl Zeiss, on indique 35 changements d’entraîneur et 13 de présidents depuis la réunification. Débordant d’anecdotes sur une époque qu’il qualifie d’épique, Hervé Bochud a été témoin de cette gérance exécrable : « Lorsqu’ils m’ont fait signer, les dirigeants avaient déclaré avoir construit un bon budget sur un match de Coupe d’Allemagne joué la saison précédente contre Dortmund. Mais dès le début du second tour, au printemps, les caisses étaient vides. Alors, ils ont voulu virer 6 joueurs en bricolant des motifs de licenciement, c’était honteux. »

Heureusement toutefois, une poignée d’enseignes de l’ex-RDA envoient des signaux plus positifs, comme l’Union Berlin. Terminant chaque saison dans le haut du classement de 2. Bundesliga, la deuxième équipe de la capitale joue la carte assumée de l’identité prolétaire. L’Union, bastion du foot populaire, accueille ses adversaires A la vieille Maison forestière, son enceinte mythique construite par les mains bénévoles de ses supporters. « Le caractère terreux du club a fini par le rendre culte et célèbre jusqu’en Australie, où un fan-club s’est récemment formé » clame Michael Richter, qui admet toutefois « que l’équipe a loin d’avoir les armes pour envisager une montée en première division. » Une ascension que vient d’effectuer le RB Leipzig qui sera donc, la saison prochaine, l’émissaire exclusif de l’ex-Allemagne de l’Est dans l’élite. D’entrée, Michael Richter noie l’enthousiasme : « Détrompez-vous, le RB Leipzig n’est pas un club aux valeurs historiques, mais un montage financier du groupe Red Bull qui a réussi à s’emparer du club malgré les restrictions légales. »

L’Allemagne limitant les participations étrangères au taux de 49,9%, la firme autrichienne a finement combiné pour s’emparer du SSV Markranstädt, vétuste club de la Saxe, avant de le « customiser ». Le groupe Red Bull n’ayant pas le droit d’apposer le nom de sa marque à celui de l’équipe, il le baptise alors RasenBallsport Leibzig (en français : Sport de balle sur gazon Leibzig) afin de justifier un « RB » ramenant évidemment à la liqueur énergétique. « Plus superficiel, il n’y a pas » s’indigne Michael Richter, comparant dramatiquement le RB Leipzig à « Faust vendant son âme au diable ».

« Détrompez-vous, le RB Leipzig n’est pas un club aux valeurs historiques, mais un montage financier du groupe Red Bull qui a réussi à s’emparer du club malgré les restrictions légales. » Michael Richter, entraîneur

Alors que les deux regards se scrutent encore, force est de constater que celui de l’ex-RDA peine à se fixer sur l’avenir. Tandis que Wolfsburg se fait parachuter de solides financements bordés du logo VW, le FC Carl Zeiss Jena affiche comme sponsor principale une ONG active dans la protection des baleines. « On parle d’un même pays, mais aux pôles diamétralement opposés » conclut Hervé Bochud. Représentante d’un football morcelé, l’équipe de la ville de Léna termine sa saison de Regionalliga à la septième place, bien loin des espoirs de montée. La communauté du Ernst Abbe Sportfeld, le stade du club dont l’adresse est Au Paradis, a encore bien quelques années d’enfer devant elle.

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