Décider, c’est gagner

Au football, les prises de décision interviennent à tous les instants. Banalisée par le spectateur, la capacité à bien choisir demeure primordiale, et les spécialistes s’évertuent à la développer.

08.11.2015

Cri, coup d’épaule, poussettes. Malgré eux, l’accélération est lancée. Le vrombissement d’un virage donne le ton. Plus loin, la défense se resserre. L’espace et le temps se font précieux. Pied sur le ballon, coup d’œil. Deux appels de coéquipiers; lequel choisir ? « Le football est un sport ouvert, dynamique, alimenté par de multiples flux. Le seul facteur permettant de réguler cet environnement instable, c’est la maîtrise de ses choix ». Patrick La Spina, entraîneur technique au FC Bâle, n’hésite pas une seule seconde : « La prise de décision, c’est le cœur du football moderne ».

Décider

Article publié dans « La Matin Dimanche » du 8 novembre 2015

Messi, Iniesta, Pirlo… Aux caractéristiques techniques des grands d’aujourd’hui s’ajoute une aptitude commune : la capacité à bien choisir, avec ou sans ballon dans les pieds. Docteur en psychologie et international suisse à 41 reprises, Lucio Bizzini accorde, lui-aussi, un rôle essentiel aux choix : « Dans toutes les actions, il y a un aspect stratégique. Le joueur est amené à prendre sa décision dans une fraction seconde, et les conséquences de cette dernière peuvent être extrêmement lourdes. » Celui qui fut préparateur mental de la Nati illustre le phénomène : « Pour une prise de décision pertinente, le premier facteur est celui de l’expérience. Au fil de sa carrière, le footballeur emmagasine une série de situations dans une « bibliothèque mentale ».

Cette dernière est à sa disposition tout au long du match. Plus les documents y sont nombreux, meilleurs sont les choix. Puis, il y a l’aspect de l’automatisation. Le footballeur n’a pas le temps d’écumer les étagères à la recherche de la bonne information, elle doit surgir spontanément. » Selon Lucio Bizzini, cette mécanique fonctionne grâce à une combinaison de réflexion et d’instinct : « L’expertise du choix intervient lorsque la capacité est à la fois réflexive et procédurale. Par exemple, lors d’un coup-franc, le tireur va d’abord choisir de quel côté frapper. Ensuite, la position du pied nécessaire à la réalisation du geste sera automatique. »

« A l'époque, Djibril Cissé avait effectué d'énormes progrès grâce à des exercices répétées et répétées encore » Hervé Bochud, entraîneur

En outre, la maîtrise de ce processus serait le « faiseur de différence » entre joueur de bon et d’excellent niveau. Interviewé par le « Dailymail » lors de sa nomination en tant que manager d’un club de 5ème division anglaise, l’ancienne gloire de Blackpool Alan Wright avait lancé : « la différence est dans la prise de décision. Car même à ce niveau, mes joueurs sont excellents techniquement ». Hervé Bochud, footballeur professionnel de 2000 à 2010 ayant bataillé dans plusieurs ligues, confirme : « Plus le niveau est élevé, plus le joueur doit penser et agir vite. Les prises de décisions sont beaucoup plus lentes chez les amateurs que chez les professionnels. La spontanéité naît quand on est habitué à expérimenter toutes les situations dans le jeu. »

Formé à l’AJ Auxerre, l’ancien défenseur de Schaffhouse se souvient des combines de Guy Roux pour favoriser les choix : « De nombreux exercices de conservation du ballon étaient basés sur l’aspect cognitif, comme les jeux à 3 couleurs (ndlr. 3 équipes s’affrontent, 2 en possession du ballon et une qui chasse). Les attaquants travaillaient énormément devant le but, eux qui doivent décider rapidement, en choisissant le bon geste pour marquer. A l’époque, Djibril Cissé avait effectué d’énormes progrès grâce à des exercices répétées et répétées encore ».

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Jouer au ballon VS jouer au football

Sillonnant de nombreuses pelouses belges, françaises et suisses pour distiller ses instructions, Patrick La Spina enseigne la méthode « Coerver », une philosophie d’entraînement basée sur la technique efficace. Pour ce dernier, le football est un sport purement mental : « Combien de joueurs sont excellent techniquement, mais improductifs ? La corrélation entre « savoir jouer au ballon » et « savoir jouer au football » est surtout influencé par l’aptitude à prélever rapidement les informations pertinentes ».

Quant à l’intégration de cette dimension cognitive à l’entraînement, Patrick La Spina s’explique : « Pour que la technique ait un sens, il faut contextualiser le geste. Au football, les adversaires sont les déclencheurs. Quand Messi part en dribble, il ne va jamais se poser la question « que faire ? », c’est le pressing adverse qui va déterminer son parcours. En termes de formation, il s’agit donc de mettre en situation des formes techniques pour que le joueur sache utiliser le bon geste selon la situation ». L’évolution du footballeur passerait donc à travers ce cercle vertueux « décisions-technique », dont l’activation dépendrait de deux boutons : travail et expérience.

« Quand Messi part en dribble, il ne va jamais se poser la question « que faire ? », c’est le pressing adverse qui va déterminer son parcours. » Patrick La Spina

Mais, Lucio Bizzini atténue la fermeté théorique : « La prise de décision est reproductive, mais elle n’a rien de robotique. La liberté d’action demeure. » Hervé Bochud, aujourd’hui entraîneur, ajoute que « le joueur fait certes des choix, mais ces choix sont également déterminés par son côté créatif. C’est cela, l’intelligence de jeu. » Le football se distingue donc par une capacité décisionnelle pas exclusivement rationnelle, mais prenant également en compte l’instinct et l’émotion. Une aptitude aussi transversale et décisive que le jeu d’Andrea Pirlo.

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