Entre fantasmes et réalités, le business du maillot de foot

Certains prétendent rentabiliser leurs transferts par sa seule vente, d’autres tentent d’en faire un produit de luxe. 40 ans après sa première commercialisation, le maillot habille toujours chaudement le marketing des clubs

05.01.2017

Aux diables le Christmas Business, le mercato hivernal, qui ouvre juste après les fêtes, s’apprête à déballer de bien plus copieuses transactions. Dinde, foie gras et bûche en une seule fourchée; un joueur de football peut bien valoir soixante millions. L’occasion pour les clubs de brandir la formule de vœux la plus rabâchée du monde : « Nous sommes ravis d’accueillir X, et le prix de son transfert sera rentabilisé par la seule vente de maillots! »

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Article publié dans « Le Temps » du 5 janvier 2017

D’entrée, Anne-Catherine Durroux, directrice du Master en Marketing et Innovation du Sport de l’école CREA Genève, attaque l’idée reçue : « Les chiffres montrent de façon implacable qu’un achat de joueur a très peu de chance d’être amorti par la vente additionnelle de maillots. Dans la plupart des cas, les clubs passent par des équipementiers pour mettre à disposition des fans les produits de merchandising. Eux-mêmes font appel à des distributeurs, qui se réservent une très belle marge. » Dans les faits, pour chaque tricot vendu, le club n’encaisse qu’environ 8% de la recette finale. « Un tiers va au distributeur, 30% à l’équipementier, 10% à  l’usine fabricant ainsi qu’aux intermédiaires de transport et le solde aux états, via les taxes » dissèque Anne-Catherine Durroux.

« Si cela ne fonctionne pas pour les Red Devils, il y a aucune chance que cela marche pour les autres. » Anne-Catherine Durroux

Pour achever l’orgueilleuse prétention, elle s’arme encore de chiffres : « Prenons l’exemple de Manchester United et ses 200 millions de livres investis dans les transferts en 2016. Fruit du son juteux deal équipementier, Adidas lui verse chaque année 75 millions. Pour couvrir le reste, quelques 15 millions de maillots doivent encore être achetés. Or, le club ayant vendu le plus de tuniques la saison dernière est le FC Barcelone, qui a tout juste dépassé les 3,5 millions de pièces. » Si cela ne fonctionne pas pour les Red Devils, pouvant capitaliser sur une profuse communauté de fans ainsi que sur de réguliers transferts-événements, il y a aucune chance que cela marche pour les autres. Car le marché du football, tout milliardaire qu’il soit, compte finalement peu d’exposants majeurs. Chaque année, le site Totalsportek dresse les charts des ventes de répliques, et seuls les 6 premiers emblèmes, marques à l’internationale, franchissent le million. A la douzième place, Leicester City n’en est qu’à 350’000.

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Alors, les maillots ne pouvant amortir leurs gloutonnes opérations sur le marché des transferts, pourquoi les clubs s’acharnent-ils autant à booster leur vente? « La plus-value se situe au niveau sentimental. Le maillot, c’est l’âme du club. Son logo et ses couleurs, soit ses identifiants, agissent en déclencheur de passion pour les supporters. Aussi, ses statistiques de vente permettent de définir le niveau de commercialisation et de mondialisation des grandes équipes » juge Giancarlo Sergi, directeur de l’agence SINERGI Sports Consulting à Lausanne. Il exemplifie : « En 2014, le Bayern Munich a dégagé 105 millions d’euros en merchandising, soit près de 24% de son chiffre d’affaires. C’est une démonstration de puissance. » De son côté, Anne-Catherine Durroux affirme que, malgré l’ascendant pris par les droits TV et ses monstrueux apports, les produits dérivés forment un commerce vital : « Ce sont de véritables extensions de la marque-club. Outre ses finances, ils jouent un rôle important pour l’image et la notoriété. »

« Ce sont de véritables extentions de la marque-club. » Anne-Catherine Durroux

Il y a trois ans, c’est bien pour l’image que Chelsea, par le biais de son équipementier Adidas, déclenche une tonitruante opération juridique à l’encontre du plus grand distributeur d’articles sportifs de Grande-Bretagne, Sports Direct. La raison? Obtenir le retrait de ses tenues des étalages bric-à-brac du magasin, ne correspondant pas au standing visé par le club londonien. Certains de ses partenaires, physiquement présents sur le produit, auraient été froissés. « L’enjeu marketing est double. D’un côté, il y a la vente du bien lui-même aux consommateurs et, de l’autre, la commercialisation de ses emplacements aux sponsors. La valeur du premier aspect est directement corrélée à celle du second. Si United n’en était pas à 3 millions de maillots par année, Chevrolet n’aurait pas payé 560 millions de livres pour y avoir son logo » illustre Giancarlo Sergi.

En outre, c’est autour du prix de vente que le mauvais coton se file. Rarement cédé en-dessous de 100 francs, les répliques officielles sont chères. Des tarifs plus qu’éloignés de ceux que pratiquait Bert Patrick, fondateur de la marque Admiral, la première a avoir pénétré le marché de l’industrie textile avec un maillot de football. Au début des années 70, les fans achetaient leur tunique pour 9 livres sterling. « Aujourd’hui, tout se fait dans le démesure. Mais d’un côté, ces prix sont compréhensifs. Si j’étais actionnaire de Nike, je serais très soucieux du retour sur investissement, sachant que la firme paie des fortunes aux clubs pour exploiter leurs droits » témoigne Bert Patrick, aujourd’hui retiré du milieu, dans le Telegraph. L’affaire est d’autant plus litigieuse que le public cible se veut très jeune.

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« Après des mois d’insoutenable suspense, nous sommes sur le point de découvrir le maillot que notre équipe va porter pour les trois prochains matchs. Avec col, ou sans? L’écusson au centre, ou sur le côté? Va-t-il être blanc cassé, ou blanc “blanc“? » ironise le journaliste Ben Curtis dans un article-coup de gueule paru dans le Mirror. Il y dénonce l’agressivité des campagnes des équipementiers, manipulant la position de faiblesse des parents vis-à-vis de leurs progénitures, elles-mêmes embrumés par ce « commerce du rêve ». Pour Anne-Catherine Durroux, les pulsions amenant le fan à investir chaque année dans un maillot qu’il possède, à quelques nuances près, au moins à triple sont purement émotionnelles : « Le joueur ou le club véhiculent des valeurs auxquelles le fan s’identifie fortement, il veut donc les exposer. Pour des supporters très engagés dans l’actualité du club, reliant un maillot à des performances précises, il n’est pas envisageable de négliger cette temporalité. » Et à mesure que les saisons défilent, ce sont donc les chiffres d’affaires qui grimpent.

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