Ashley Brown, CEO de l'association Supporters Direct à Londres
Jouons franc-jeu : en Angleterre, le football est gouverné par l’argent, et rien d’autre. Attention, l’argent lui-même ne représente pas un mal. La problématique intervient plutôt au niveau de sa gestion. Si vous sondez le mode de distribution des revenus de la Premier League, vous vous rendez vite compte qu’il est nombriliste. Actuellement, seul 5% de ses bénéfices est reversé au football amateur. Ce n’est pas suffisant. Pas suffisant pour rénover les infrastructures sportives à travers le pays qui, à l’extérieur de l’élite, sont effroyablement vétustes.
Qui plus est, la rétention de la fortune de et par la première division accroissent les avoirs déjà gigantesques des clubs y participant. La renégociation des droits TV de la Premier League pour le cycle 2016-2019 (ndlr : 1,6 milliards de livres par année) assure à l’équipe la moins auditionnée 80 millions par saison. L’écart se creuse donc et, à terme, il deviendra définitif. Difficile pour un club de deuxième division d’accéder à l’échelon supérieur, et d’y rester. Sans le clamer, la Premier League devient peu à peu une ligue fermée, à l’Américaine, sans la draft et les play-offs pour œuvrer un quelconque rééquilibrage. Un mal. Pourquoi le public s’est-il épris de Leicester? Premièrement, parce qu’il aime acclamer les exploits d’un outsider modérément talentueux mais à l’envie vorace. Deuxièmement, parce cet exceptionnel succès a très peu de chance de se reproduire dans un avenir proche.
Le système lui-même est construit pour assurer la réussite des « gros ». L’incertitude, pilier émotionnel de ce sport, n’est pas bon pour les investisseurs qui veulent des garantis. A l’Euro, les performances de l’Islande et du Pays-de-Galle attestent que le football nécessite une grande humilité, qu’il ne se laisse jamais apprivoiser par une soi-disant hiérarchie. Ce sont des messages qui peinent à être entendus par les hauts fonctionnaires du football. En Angleterre, le ballon n’a jamais été l’affaire de quelques écussons phares, mais bien l’objet de la communauté dans son entier. Si on continue à lui tourner le dos, elle va le faire également. Cela a déjà commencé avec la création de clubs alternatifs comme le FC United of Manchester, entière propriété des fans, représentant les valeurs locales que Manchester United bafouent depuis trop longtemps. Car se couper de ses racines, c’est mourir.
Je ne souhaite pas cette cassure, l’objectif de Suppporters Direct est justement de créer un dialogue entre les fans et les parties prenantes les plus influentes de la Premier League. Mais comme la plupart d’entre elles sont désormais des fonds d’investissement étrangers, la communication s’effrite. Pogba à United, Hazard à Chelsea; ce sont des marques porteuses, vendant des milliers de maillots et amenant de rutilants contrats de sponsoring.
Mais les joueurs passent. Les touristes, de plus en plus présents dans nos stades, résultat des illustres campagnes internationales menées par les clubs, consomment peut-être davantage de merchandising qu’un fan local mais ne sont eux aussi que de passage. Les authentiques supporters restent! Ce sont les stabilisateurs des clubs; ils forment leur cœur. Si aujourd’hui la Premier League gagne les marchés américains et asiatiques, c’est d’abord grâce à ses productions télévisées. Ce qui fait le charme d’un Liverpool-Everton? La tension, l’atmosphère. Les rencontres nouvellement planifiées les vendredis et lundis soir, cela afin d’augmenter la valeur des droits TV, représentent un calvaire pour un supporter de Southampton qui doit rallier Sunderland. Et travailler le lendemain. Combien de temps encore nos stades seront-ils pleins?
David Kurtz, fondateur de l'agence Global Football America à Los Angeles
La Premier League et ses clubs sont aujourd’hui confrontés à un dilemme de taille : fidéliser ou acquérir. Evidemment, une bonne stratégie peut s’avérer mauvaise selon l’air du temps. Ces dernières années, le football anglais a su consolider sa marque, raffermir son identité. Aujourd’hui, il est mûr pour s’exporter et intégrer le cercle des grandes compétitions globales aux côtés de la NBA ou de la NHL. Forcément, si Chelsea se commercialise bien à Shanghai, les retombés bénéficieront d’abord à Londres. Bien que certains trusts de supporters soient réticents à cette internationalisation, les clubs font figure d’ambassadeurs de choix pour leur communauté respective. Il n’y qu’à considérer l’impressionnant regain touristique impactant certaines villes anglaises de seconde zone. Tout cela grâce au football!
En outre, le spectacle proposé par la Premier League ne représente rien de moins que l’excellence. En termes de production audiovisuelle, seule la NFL (ndlr : la première division de football américain) lui est supérieur.Le monde veut en profiter, c’est naturel. Si LeBron James jouait pour Valence, alors les USA paieraient pour les droits de la ligue de basket espagnole. D’accord, tout ne résume pas à la performance, mais il paraît limpide qu’au jour d’aujourd’hui les fans de Manchester City sont plus épanouis qu’il y a 15 ans. Le supporter veut gagner. Tout le monde veut gagner. L’argent ne marque pas de but mais, partout où football se joue, il existe une parlante corrélation entre moyens et résultats.
En outre, le triomphe de la Premier League n’est pas un phénomène isolé, il s’intègre à une vague de popularité générale pour le football à travers le monde. Ce sport a toujours été roi en Europe, en Afrique ou en Amérique du Sud. Mais les intérêts asiatiques et nord-américains pour le beautiful game, les puissances économiques du moment, ont véritablement métamorphosé le paysage du marché. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on diffuse des rencontres du championnat anglais tous les samedis et dimanches matins. Alors que je m’éveillais aux sons des dessins animés étant jeune, les nouvelles générations se lèvent avec des Arsenal-Tottenham en bruit de fond. L’avènement des médias sociaux permet, qui plus est, de suivre son équipe de sport préférée de manière absolument immersive, même si cette dernière joue ses matches à des milliers de kilomètres. Les opportunités globales sont déjà considérables, mais elles seront bientôt énormes.
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A vrai dire, je peine à comprendre ceux qui déplorent la dénaturation de la Premier League. Son niveau de commercialisation est important mais il n’a aucune incidence négative sur les réalités du terrain. En Angleterre, les tacles sont toujours aussi appuyés, les rivalités bien entretenus et les stars rapidement mises sur la touche si elles se mettent à sous-performer. De plus, les rapports officiels notent que le prix moyen d’un billet pour une rencontre de première division plafonne à 31 livres sterling. Les clubs prêtent attention à ne pas heurter leur fanbase! Et puis, c’est factuel, les followers de la page Facebook de la Premier League résident à 97% à l’étranger. La ligue devait nécessairement devenir globale pour continuer de croître. A travers notre agence, nous ressentons une forte poussée de la part des deux parties : le demandeur, soit le fan de sport américain, et le club qui souhaite s’offrir à lui. Finalement, les enseignes britanniques répondent simplement aux appels du marché. Et tant qu’elles réinvestissent la majeure partie de leurs revenus localement, tout le monde en profite.