Le 8 août 2016, la planète football tremble de tout son astre. La presse crache son encre sur la nouvelle tandis que les réseaux sociaux engagent des millions de comptes à travers le monde. Un tumulte résultant d’un dévastateur coup de « la Pioche », sobriquet de Paul Pogba, qui vient de signer à Manchester United pour 130 millions de francs. Un record absolu, matérialisant l’attirance réciproque d’un des clubs à l’un des footballeurs les plus populaires du monde. « Ici, je veux devenir une légende » scande l’intéressé. Débarquant dans le nord de l’Angleterre après 4 grosses saisons avec la Juventus de Turin, le recrutement de Pogba, 23 ans, revêt une combinaison marketing d’acier.

Article publié dans « Le Temps » du jeudi 3 novembre 2016
Entre autres, un clip vidéo tourné avec le notoire rappeur Stormzy, dépassant rapidement le million de vue, ou l’inondation des réseaux par les hashtag #ReUnited et #Pobgack; le Français « jouait » déjà sous les couleurs de Manchester avant de partir pour la Juve. Fruit naturel de cette propagande « XXL » : l’attente gigantesque catapultée dans les coeurs des supporters mancuniens.
Aussi fort que Jordan
Le 18 septembre 2016, Manchester United se déplace à Watford pour la 5ème journée de Premier League. Broyé par l’agressivité monstre des locaux, le nouveau « MANU » de Pogba, Ibrahimovic et Mourinho en encaisse 1, 2 puis 3. Logique vainqueur, Watford déchaîne la critique sur le joueur le plus cher de l’histoire, ce jour-là peu performant : « Breaking News : la Juventus inculpée pour avoir exporté une contrefaçon à Manchester » raille un fan sur Facebook. Alors ardent, le débat génère aujourd’hui encore une flambée d’opinions : Paul Pogba, milieu de terrain Français né dans une modeste agglomération de l’est parisien, vaut-il vraiment ce pactole?
« Le monde du sport a connu Jordan, Beckham et Federer. Des super-joueurs devenus des super-marques déclinées en millions de produits dérivés. Ce qui peut perturber avec Pogba, c’est que son image semble aussi forte que celle de ces athlètes-là alors qu’il ne détient pas le quart de leur palmarès » pose Loïc Ravenel, chercheur-analyste à l’Observatoire du football de Neuchâtel. « Ses performances actuelles ne sont pas excellentes, mais pas exécrables non plus continue-t-il. Le problème touche plutôt la perception que peut avoir le public pour un joueur qui a coûté 130 millions, et qui en gagne 18 par année. » Selon Loïc Ravenel, « on oublie de considérer certaines données. ».

Avant d’acheter un athlète, le club achète « une marque, ou personal brand dans le jargon, qui inclue son capital sympathie, sa réputation digitale, son potentiel marketing » décrypte-t-il. Paul Pogba, que nombre d’experts qualifient de futur meilleur joueur du monde, est largement reconnue pour détenir un fort potentiel. Encore sur l’hypothétique valeur du natif de Lagny-sur-Marne, Loïc Ravenel ose parler de « montant rationnel » : « En prenant en compte la santé du marché (nldr : en 2016, les enseignes évoluant en première division anglaise ont dépassé la barre du milliard quant à l’achat cumulé de joueurs), les caractéristiques du sportif, l’effet positif que l’âge doit avoir sur lui et les années de contrat qui lui restait à la Juventus, on monte rapidement à 100 millions. » Effectivement, les algorithmes de l’Observatoire du football estiment la valeur marchande de l’international Français à 120 millions d’euros.
Autre appréciation élogieuse, celle du magazine américain US Sports Pro qui désigne le Mancunien deuxième sportif plus « marketable » du monde, juste derrière Stephen Curry. Un résultat justifié par l’équation considérant les variables du talent, de l’image et surtout celle de la communauté. « Pogba est suivi par plus de 13 millions de fans sur les médias sociaux. En Angleterre, 30 % des conversations sur ces réseaux le concernent » indique Giancarlo Sergi, directeur de l’agence SINERGI Sports Consulting à Lausanne. Ce potentiel promotionnel peut à tout moment se transformer en potentiel commercial. »
L'influence du sponsor
En outre, du cafouillage d’intérêts dans lequel baigne le football business, une partie prenante s’affirme toujours plus fermement : le sponsor. D’un partenariat d’équipement bruyamment annoncé ces derniers jours, Chelsea s’apprête à recevoir 1 milliard de livres sterling de la part de Nike pour les 15 saisons à venir. Du côté de Manchester United, la part annuelle versée par son équipementier Adidas se monte à plus de 90 millions de francs. « Nous sommes à un tel niveau de commercialisation que cela m’étonnerait pas qu’Adidas ait eu son mot à dire dans le transfert. Pogba lui-même avait tout intérêt à signer avec un club qui est sponsorisé par Adidas, au risque de perdre son contrat personnel avec cette marque » analyse Giancarlo Sergi.
Bon samedi 👊🏿 enjoy your Saturday @ManUtd #heretocreate #mufc pic.twitter.com/jbspdZEUPS
— Paul Pogba (@paulpogba) October 22, 2016
L’emboitage du prodige français, athlète phare de la marque aux trois bandes, au blason des Red Devils laisse champ libre à de monstrueuses opérations commerciales. Car l’exploitation des droits à l’image du joueur est crânement limitée si celui-ci est sous contrat avec un équipementier différent de celui de l’équipe. Et puis, en s’appropriant la pépite, le club bénéfice d’une prestigieuse exclusivité : « Si j’étais président de Manchester United, Paul Pogba serait le premier produit que je vendrais aux sponsors. Plusieurs clauses des contrats de sponsoring stipulent certainement la présence des joueurs clés à des activités de relations publiques » atteste Giancarlo Sergi.
Une fois la vaste dimension marketing considérée, reste à mesurer l’impact réel des performances sportives sur la valeur d’un joueur. Loïc Ravenel assure que celles-ci « restent importantes, mais pas exclusives dans la corrélation entre le footballeur et son prix ». Et si le mariage entre Manchester United et « la Pioche » aboutissait à un éclatant échec sportif? « Contrairement à ce que certains pensent, je suis convaincu que l’économie du football va continuer de croître. Si Pogba sous-performe, cela ne m’étonnerait pas qu’ils soient revendus quelques saisons plus tard à un club asiatique, et à très bon prix » suggère Loïc Ravenel. A l’international Français d’hisser son football à la hauteur de sa marque, et de dribbler ce scénario.