Les musées de clubs de foot, du neuf avec du vieux

Déjà nombreux, les musées consacrés aux équipes de football continuent de fleurir en Europe. Un moyen pour les clubs de préserver leur identité à l’heure de la globalisation, et d’assoir leur pouvoir de marque

30.06.2019

Plus que quelques heures avant l’explosif derby opposant Lyon à Saint-Etienne. Comme si l’atmosphère n’était pas assez tempétueuse, une pluie diluvienne bat sans relâche l’architecture moderne du Groupama Stadium. Stéphane Benas, l’homme derrière le musée de l’Olympique Lyonnais inauguré en mai 2018, contemple le déluge niché sous le porche de l’entrée principale. « Je ne suis pas un collectionneur de matériel, d’objets, je ne suis pas un brocanteur, lance-t-il entre deux bouffées de cigarette. Je suis un collecteur d’histoires ». Le ton est donné. Place à la visite.

Reportage à Lyon publié dans « Le Temps » du 20 juin 2019.

Les 1’300 mètres carré d’OL Le Musée – la plus grande exposition permanente consacrée au football en France – s’éparpillent stratégiquement à l’étage de la boutique officielle, déjà prête à avaler des milliers de fans. Stéphane Benas nuance pourtant la logique mercantile d’une attraction à 10 euros l’entrée (15 les jours de match) : « Il y a deux manières de penser un musée d’un club de foot : comme un centre de profit ou comme un centre de service. On a opté pour la deuxième approche. » Nouvelle avenue d’une ville du sport et du divertissement toujours en cours de développement (OL City), le musée est, selon son directeur, « le garant d’une identité. » Cette dernière est traduite par les valeurs « maison » placardées dans le corridor d’entrée (excellence, éducation, culture et solidarité), où chants des ultras et odeur de pelouse sont malicieusement diffusés. Le parcours se poursuit dans l’ancien bureau des présidents, s’anime en 3D dans une poignante reconstitution des vestiaires, passe par un centre d’archives riche de trois heures et demi de vidéo, longe une interminable paroi affichant toutes les licences des joueurs de l’histoire du club, avant d’aboutir dans la salle des trophées. « Question prise de tête : combien d’espace libre laisser pour les prochaines coupes ? » nargue le conservateur. La scénographie, fastueuse, entremêle objets poussiéreux et haute technologie sans jamais surfaire ni la nostalgie ni les succès sportifs.

« Ce que je voulais, c’était capter puis reproduire l’ADN du club. »

Recruté sur Twitter par le président Jean-Michel Aulas en personne, Stéphane Benas, passionné de l’histoire de l’OL sans aucune formation muséale, s’est vu octroyé deux ans et demi, 6 millions d’euros et un accès sans restriction aux archives du club pour mettre au monde « un ovni, un truc qui bouscule les codes ». « J’ai dit au président qui s’il voulait un parc d’attraction consacrée aux années 2000 (ndlr : période glorieuse où l’Olympique Lyonnais remportait sept championnats d’affilé), il y en a qui ferait mieux que moi. Ce que je voulais, c’était capter puis reproduire l’ADN du club. » La visite est désormais imposée aux nouvelles recrues du centre de formation, « non pas pour les forcer à devenir fans de l’OL, mais pour leur faire comprendre que lorsqu’on enfile ce maillot, il y a une charge émotionnelle » justifie Stéphane Benas. Quid de la fréquentation ? « Je ne peux communiquer aucune donnée, mais je peux vous affirmer que de nombreux visiteurs sont déjà revenus » se réjouit-il.

Si son directeur ne cesse de brandir la singularité de son concept, l’ouverture d’OL Le Musée s’inscrit bien dans une tendance globale. En France, en plus de celui de Lyon et de Saint-Etienne lancé en décembre 2013, des projets de musée ont été annoncés du côté de Nantes, Rennes, Marseille ou encore Paris. En Espagne, tous les clubs majeurs ont en déjà un. Parmi eux, le Barça Museum retrace l’histoire vibrante des Blaugrana, mais pas seulement. « Nous avons trois objectifs principaux : l’archivage d’objets et d’événements, la mise en valeur du passé ainsi que la promotion de la marque Barça » expose Jordi Penas, le directeur de l’établissement. Dire que ce dernier remplit bien ses rôles est un euphémisme. Fondé en 1984, le Barça Museum revendique deux millions de visiteurs annuels (dont 1,9 millions de touristes). Depuis plus de dix ans, il est le musée le plus visité de Catalogne. « 25% des visiteurs seulement sont fans du Barça, relate Jordi Penas. Les autres sont attirés par sa légende, son héritage culturel, ses symboles. » En 2010, un investissement de 3,5 millions a permis de moderniser l’espace, mais le message lui n’a pas changé : « L’idée est de démontrer aux visiteurs que la réalité de notre institution va bien au-delà du sport, affirme le Catalan, d’expliquer comment une équipe de football s’est muée en phénomène culturel, en une démocratie de 140’000 socios. »

« L’histoire et l’héritage de Manchester United sont précisément ce qui permet de nous différencier, de continuer à nous affirmer comme le club le plus supporté au monde. »

Alors que le Juventus Museum de Turin battait en juillet dernier son record d’entrées mensuelles (17’000), l’Angleterre, où la dimension patrimoniale du football est établie depuis des décennies, n’est pas en reste. Pionnier comme dans bien d’autres domaines, Manchester United inaugurait son musée dans les galeries d’Old Trafford en 1986 déjà ; le premier consacré à un club de football en Grande-Bretagne. « Depuis la première année d’exploitation, nous sommes passés de 25’000 à 330’000 visites par an » compte Damian Preston, Museum Manager chez les Red Devils. Agrandi puis rouvert le 11 avril 1998 au cœur de la tribune désormais nommée Sir Alex Ferguson, il est l’attraction payante la plus visitée de la ville. « Le musée détient un rôle essentiel au sein de l’écosystème du club, affirme Damian Preston. L’histoire et l’héritage de Manchester United sont précisément ce qui permet de nous différencier, de continuer à nous affirmer comme le club le plus supporté au monde. »

Si l’intégration des musées dans la stratégie des clubs n’est pas un concept récent, il se voit booster par les enjeux actuels. A commencer par les opportunités amenées par les innovations digitales. Loin des greniers d’autrefois, les musées 2.0 sont des attractions multimédias, immersives et interactives. « Encore faut-il que la technologie serve à mettre en valeur le contenu, non pas à l’engloutir » prévient Stéphane Benas. Et puis, l’image des équipes de football se gérant comme de véritables marques, leur rayonnement demeure au cœur de toutes les considérations. Sur le plan affectif, les musées permettent justement d’accroître l’attachement aux clubs en exposant les fans aux pics émotionnels de leur histoire. Jordi Penas du Barça Museum, dont les recettes dépassent les 35 millions d’euros chaque année, admet que la profitabilité du lieu doit beaucoup à « la puissance de la marque. »

Toujours au chapitre de l’identité, force est de constater que le musée représente un espace d’expression foncièrement personnalisable, soit un efficace levier de différentiation. « Avant de dessiner mon premier plan, je suis allé au Barça, à la Juve, à Chelsea et au Bayern. Qu’est-ce que j’y ai pris ? Rien. C’est leur histoire » témoigne Stéphane Benas. A l’heure où les ligues nationales planifient des matchs de saison régulière sur d’autres continents, le créneau des musées promeut donc un enracinement bienvenu. Même salutaire, selon le Lyonnais : « Si tout le monde se ressemble, vous finirez par supporter l’équipe qui gagne. »

 

« Le lien est plus important que le bien »

Auteur, professeur à l’École des Sciences de la Gestion de l’Uqam à Montréal et expert des thématiques liées à la gestion des marques sportives, André Richelieu livre son analyse.

L’exploitation de musées par les clubs de football est un phénomène en pleine expansion. Comment l’expliquez-vous ? 

Je dirais qu’il y a trois facteurs qui se combinent et nourrissent le phénomène. Le premier est la mondialisation, en général, et la mondialisation du sport, plus particulièrement. Le second est la croissance du tourisme sportif à l’échelle internationale. Puis, le dernier est la volonté des dirigeants des clubs de monétiser au maximum leur marque en diversifiant leurs sources de revenus.

Quels sont les bénéfices pouvant découler de cette stratégie ?

En marketing, on dit souvent que le lien est plus important que le bien. Cela est particulièrement vrai dans le sport où l’on vend de l’espoir aux supporters, où l’on vit des émotions très intenses. Par conséquent, les musées représentent des extensions de marque qui deviennent des lieux de convergence, voire de pèlerinage pour les fidèles du club. L’« expérience musée » peut ainsi contribuer à cristalliser le lien émotionnel avec les supporters, renforcer la fidélité au club et asseoir la force de la marque.

Faut-il percevoir ces musées comme des instruments marketing ou des lieux symboliques célébrant la relation club-fans?

C’est un peu des deux. Nous vivons à l’ère du « sportainment », soit la fusion du sport et du divertissement. Ce que les organisations sportives ne doivent toutefois pas oublier, c’est que leur essence réside dans le produit sportif. C’est ce qui, avant tout, intéresse le fan. Il faut donc éviter de diluer sa marque en l’engouffrant dans toutes sortes d’initiatives, potentiellement lucratives, qui pourraient éclipser ce pour quoi le club existe au départ. En somme, le succès passe par un équilibre judicieux entre sport et divertissement.

Culture

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