International Champions Cup : le foot en mode Super Bowl

Fermant son édition 2017 par un inédit « Clásico » organisé à Miami, l’International Champions Cup est parvenue, en cinq ans, à institutionnaliser la pratique des tournées estivales

19.08.2017

Jamais un match amical n’avait autant ressemblé à un Super Bowl. Samedi dernier, le Hard Rock Stadium de Miami n’a cessé d’abreuver ses 65’000 résidents de jeux de lumière et de feux d’artifices. Dans l’antre, Lionel Messi a brillé lui aussi, ouvrant le score sous les acclamations d’un public déjà largement acquis à sa cause.

Ce premier « Clásico » organisé aux USA, le second hors Espagne, a clos la cinquième édition de l’International Champions Cup, ou ICC. Surtout, il a donné la possibilité à quelques-uns des 4 millions d’Hispaniques répertoriés en Floride de toucher leurs héros avec leurs yeux. « Cet affiche aurait fait un carton dans n’importe quelle ville américaine, mais seule Miami pouvait générer un pareil engouement » lâche Joel, dégustant un sandwich cubain sur le parking de l’enceinte. Il précise : « La Floride, c’est 80% de Latinos. Ici, on aime le football, le vrai. »

Reportage à Miami publié dans « Le Temps » du 2 août 2017


Les organisateurs de l’ICC l’ont bien compris. Et la ligue de football espagnol, en pleine phase de globalisation, ne s’est pas privée de l’opportunité. Samedi, les panneaux électroniques du Hard Rock Stadium illuminaient un slogan plutôt provocateur : « It is not soccer. It is La Liga ». Javier Jimenez, ex-directeur du FC Cordoue désormais consultant, approuve totalement la démarche : « C’est ce genre de campagne qui permettra à La Liga, disposant des meilleures équipes du monde, de devancer la Premier League sur plan économique. »

Selon une recherche de la fédération espagnole parue l’an dernier, 25 millions de personnes suivent assidument le championnat ibérique aux USA, contre 23 millions en Espagne. « L’Amérique du Nord a toujours été un marché stratégique pour les clubs espagnols, se souvient Javier Jimenez. Mais ces dernières années, l’ICC est parvenue à créer des ponts d’une longueur inégalée. »

Dans un pays où les clubs sont franchisés pour mieux animer les monstrueux complexes commerciaux dont ils sont locataires, Ross investit dans le sport.

Fondée en 2013 par l’agence new-yorkaise Relevent Sports, l’International Champions Cup est née des cendres du World Football Challenge. Le tournoi, co-organisé par deux promoteurs privés de 2009 en 2012, est stoppé après trois petites éditions seulement. Les gains ne semblaient pas pouvoir pas couvrir les monstrueuses charges logistiques. C’est à ce moment-là qu’intervient Stephen Ross. Jouissant d’une fortune estimée à 12 milliards de dollars par Forbes, l’homme d’affaires américain est, via son groupe The Related Companies, un très influent dessinateur de « skylines ». Aussi, dans un pays où les clubs sont franchisés pour mieux animer les monstrueux complexes commerciaux dont ils sont locataires, Ross investit dans le sport. Propriétaire de l’équipe de football américain Miami Dolphins, le septuagénaire lance l’ICC avec l’objectif d’en faire un projet durable, et lucratif. Gary Hopkins, auteur d’un ouvrage sur l’émergence du soccer aux USA et membre fondateur de la Major League Soccer (ndlr : le championnat nord-américain), revient sur la stratégie du magnat : « Le principe de base est de profiter de l’intersaison pour amener la crème du soccer dans les marchés émergents. Cela fait une décennie, précisément depuis 1994 et la première Coupe du monde aux USA, que les grosses écuries européennes effectuent des tournées estivales en Amérique du Nord. Mais, avec la globalisation des droits TV ainsi que l’avènement des médias sociaux survenus dans les années 2010, le phénomène a pris une nouvelle tournure. »

Le World Football Challenge avait raison trop tôt; c’est Stephen Ross qui a frappé au bon moment. En 2014, l’année où près de 25 millions de Nord-Américains suivent le mondial brésilien sur leur télévision, l’ICC marque les esprits en remplissant les 110’000 places du stade Michigan à l’occasion d’un Real-United. « Cet été, c’est ESPN qui a acheté les droits de l’ICC, soit la chaîne de sport de référence aux USA, continue Gary Hopkins. Cela démontre que, malgré le côté amical, la compétition gagne en crédibilité. » Il faut avouer que la vitrine 2017 de l’International Champions Cup était plus qu’alléchante. Sans parler d’« El Clásico Miami », un derby de Manchester s’est joué à Houston ainsi qu’un Barcelone-Juventus à New York. Au final, la version US de l’ICC a vendu près de 900’000 billets et fait s’affronter 18 équipes dans 12 locations différentes, le tout en un peu plus de 10 jours. Qui plus est, deux autres tournois se sont déroulés en Chine et à Singapour, listant le Bayern Munich, Chelsea ou encore l’Inter Milan parmi les participants.

« En termes de sponsoring et de vente de billets, les recettes doivent être plus que fructueuses. »

Évidemment, ce bouquet de super-clubs ne s’est pas cueilli gratuitement. Quid des indemnités de participation? Discrète, Relevent Sports ne publie aucun rapport financier. Pour sa part, le média français Sportune.fr estime que le PSG aurait encaissé 4 millions d’euros pour son road-trip américain. « Le bénéfice est triple, commente Michael Goldman, professeur en management du sport à l’Université de San Francisco. Les clubs participants sont payés, logés, transportés. Puis, ils prennent part à des rencontres intéressantes au niveau sportif. Enfin et surtout, ils bénéficient de multiplies opportunités pour travailler leurs relations publiques. » Mais, selon l’expert californien, c’est bien l’organisateur qui reste le grand gagnant : « Parce que les clubs sollicités confirment leur présence au dernier moment, l’ICC ne négocie pas ses droits TV à des prix pharaoniques. Par contre, en termes de sponsoring et de vente de billets, les recettes doivent être plus que fructueuses. »

Fondamentalement, le concept billetterie repose sur l’unicité des affiches. Contrairement aux compétitions européennes qui s’inscrivent dans la durée, la dimension « once in a lifetime » des rencontres de l’ICC permet d’exploiter allègrement le capital émotionnel du supporter. La grille tarifaire intègre d’ailleurs des chiffres parfaitement irrationnels : pour assister à Real-Barça, les billets les moins chers ont coûté 250 dollars à leurs possesseurs. Adiar, se rafraîchissant dans la fan zone spécialement aménagée à Bayfront Park, dans le centre de Miami, a fait le sacrifice : « C’est très cher, mais c’est pas tous les jours. Et puis, ici, beaucoup de Latinos ont les moyens. Si tu es dans un restaurant de Los Angeles et que tu entends parler Espagnol, c’est le serveur. A Miami, cela peut être le propriétaire. » Aussi, l’ICC profite sans aucun doute de la faiblesse du championnat national. Dans un pays habitué à l’excellence sportive, la compétition estivale permet aux amateurs de soccer de soulager leur frustration. « C’est culturel, les Américains savent qu’ils doivent débourser plus pour avoir plus » juge Adiar.

En outre, pour Michael Goldman, le marketing de l’ICC n’est pas sans défaut : « La compétition investit massivement dans le développement de sa marque, mais elle ne semble pas se rendre compte que celui-ci est limité. Premièrement, la rigidité de la pause estivale ne permettrait pas aux clubs européens de s’impliquer davantage dans la compétition. Et puis, il y a un fort entre décalage entre l’image élitiste que veut se donner le tournoi et la qualité des matches. » Avouons-le, même si le format actuel tient un classement pour stimuler les enjeux, gagner l’ICC ne représente rien pour personne. « La politique du tournoi elle-même ne se prête pas à la compétitivité, les participants étant sélectionnés selon des critères économiques et non sportifs » détaille Gary Hopkins. Et puis, si les contrats obligent les clubs à faire apparaître leurs joueurs phares à chaque rencontre, aucune clause ne porte sur le niveau d’investissement une fois qu’ils foulent la pelouse.

Du côté des réseaux sociaux, l’International Champions Cup déploie aussi de puissants moyens. Mais ses publications Facebook génèrent rarement plus de 500 réactions, sauf pour celles qui ont bénéficié d’une promotion payante. « Les gens s’intéressent aux affiches, pas à la compétition elle-même » atteste Gary Hopkins. Adiar, lui, conclut pragmatiquement : « L’ICC, c’est comme un mauvais coup d’un soir. Tu t’attends à quelque chose de génial mais le lendemain, tu regrettes. »

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