Everton, l’autre club de Liverpool

Malgré une visibilité écornée par son voisin du Liverpool FC, Everton et sa communauté respirent la passion aussi ardemment que l’air de la mer d’Irlande. Club populaire par excellence, sa ferveur s’infiltre profondément dans le mode de vie de ses fans.

25.01.2015

C’est l’heure. Un hymne ancestral, dont même les haut-parleurs surpuissants du « Goodison Park » semblent avoir du mal à diffuser, se met à grésiller. La chanson « It’s a grand old team » est alors entonnée par la moitié des 40’000 personnes sillonnant les vieilles tribunes. Au soleil, les travées du stade semblent aussi claudicantes que l’orchestre. Heureusement, l’entrée des joueurs stoppe la cacophonie. Cette fois, on entend une tonalité irlandaise, aigue, qui vient directement s’installer dans les cœurs. La partie débute et, quand Everton ouvre le score, le bois craque effroyablement. Mais l’adversaire du jour, West Ham, est coriace. D’ailleurs, en début de seconde période, l’égalisation est amplement méritée. On joue la soixantième quand Tim Howard, le portier des « Toffees » (surnom des joueurs et supporters d’Everton), sauve miraculeusement les siens. « Oh Lord ! ». Accrochée à un chapelet depuis le début de la partie, une supportrice d’une cinquantaine d’année se bouche les oreilles à chaque corner frappé par West Ham. A quinze minutes de la fin, à la suite d’une contre-attaque rapide, le milieu d’Everton Leon Osman se jette sur un centre, et marque. Le déchaînement de passion est sans limite. Un jeune papa, muet et immobile jusqu’alors, explose de joie, agrippe son fils par les épaules avant de le secouer brutalement. Alan Ball, légende du club, avait su décrire cet instant mystique : « Je courrais vers le centre du terrain juste après avoir marqué le deuxième but contre Liverpool, et l’allégresse ultime s’emparait de moi. Je me souviens avoir pensé : “Ce que j’aime cet endroit – Cet endroit, je le veux pour toujours.” »

Everton

Reportage publié en « Une » du cahier des sports de « Le Matin Dimanche » du 25 janvier 2015.

Non, l’étendue citée portuaire de Liverpool ne parle pas que le rock « beatles ». Enfiévrée par la chanson populaire qui y pullule en tous genres, elle est d’abord un bastion de l’innovation et de l’opportunité musicale. Du côté du football, seconde attraction de la ville après les « Fab Four », on peut y retrouver ce même effet éclipse. Premier club de la ville à avoir vu le jour, Everton et son bleu roi voient leur réputation internationale être diluée dans le rouge saillant de son rival, le Liverpool FC. Et pourtant, avec plus de 110 saisons d’affilée en première division (le record en Angleterre) et 9 championnats au palmarès, les « Toffees » ont du vécu. D’ailleurs, leur histoire, les fans la connaissent par coeur. Installés au bord de la ruelle parallèle à la tribune principale du stade, quelques « pubs » osent mêler l’odeur du poisson pané avec celle de la bière. Malgré tout, on y pense. Michael, le corps noyé par son large tricot bleu, aime même s’y raconter : « Everton est un club unique. Regarde tous ces gens. Qu’on lutte contre la relégation ou qu’on course la quatrième place, ils sont toujours là. Tu sais, sur la BBC, quand ils annoncent les résultats, nous, on vient toujours en dernier. Je vais te dire pourquoi. On est indépendant ! Et ça, ça fait pâlir pas mal de monde. » Plus que d’être bien avec elle-même, la communauté « evertonienne » détient une énorme influence sur la gestion du club. Un compère de Michael, dont le visage rappelle étrangement la légende de United Paul Scholes, y va de son « scouse » (accent liverpuldien aussi biscornu que mélodieux) : « L’année passée, ils ont changé le logo sans passer par les fans. Et voilà qu’ils y ont oublié des symboles clés! Nous, on a parlé, on a voté. Résultat : on a encore un nouveau logo cette année, cette fois en accord avec notre histoire. Tout ça a doublé des frais déjà importants, mais la direction doit assumer. Le club, c’est nous. »

« Ce que j’aime avec les noms resplendissants, c’est que même les personnes les plus insignifiantes ont en un » Roger McCough

En outre, Everton sait aussi composer avec le présent. La saison dernière, son recrutement peu coûteux mais efficace a offert une année fantastique à ses supporters, les « Toffees » battant leur record du nombre de points acquis en un exercice, et décrochant la cinquième place du championnat se disant être le plus relevé du monde. Orchestré par l’Espagnol Roberto Martinez, le jeu d’Everton, dont l’alliance fougue-technique amène des combinaisons souvent spectaculaires, a désormais sa réputation en Angleterre. Michael reste néanmoins prudent : « Le succès, c’est une chose dangereuse. Il t’apporte la gloire, mais c’est un lent poison. Il détruit l’identité. La saison dernière, c’était le rêve, mais on sait que la victoire vient aussi vite que la défaite. »

Sur une des télés du bar, un commentateur présente le match de Liverpool du lendemain. Quelques huées se font entendre. « Nous, on n’est pas des « bitter blues » » se défend Alan, pourtant tout aussi bleu que ses pairs. « On respecte Liverpool, même si on les déteste. » Michael réagit : « Il faut surtout dire qu’en 85, on avait la meilleure équipe d’Angleterre. A cause de la tragédie du Heysel, les clubs anglais ont ensuite été suspendus de compétitions européennes pendant 5 ans. Si on n’a pas pu gagner la Coupe d’Europe à cette période, c’est à cause des « Reds » ! » L’air grave, Alan intervient : « Tu ne peux pas parler comme ça, il y a eu 40 morts. » Michael baisse alors la tête : « Oui, c’est vrai, paix à leurs âmes. » Il marque un silence, avant d’ajouter : « N’empêche, on l’aurait quand-même gagné, cette putain de Coupe d’Europe. » Accroché à un mur de la gargote, une photo de Sylvester Stallone brandissant une écharpe d’Everton surprend : « Ce ne n’est pas la seule personnalité à ouvertement nous supporter. Il y a aussi des artistes, comme Paul McCartney ou Roger McCough », commente Alan. « En fait, pour Stallone, c’est surtout s’affilier à notre image populaire qui l’intéresse. B.B. King disait qu’être un « bluesman« , c’était être deux fois noir. Être un « Evertonien », c’est être deux fois ouvrier. »

A l’extérieur, les marchands suspendent leurs écharpes sur des murets, dont certains sont décorés par des plaques commémoratives. L’une d’entre elles réunit le nom de famille du supporter avec une inscription évocatrice : « born as a blue, live as a blue, die as a blue ». Le coup d’envoi se rapproche. Pour franchir les portes de l’enceinte, de nombreux maillots floqués Howard, Osman ou Baines se mélangent avec d’autres dont les noms – Shawn, Lucas, Matthew… –  sont invisibles sur la feuille de match. Une image classique, mais qui colle parfaitement à l’identité unitaire qu’est celle d’Everton. C’est le poète « toffee» Roger McCough qui l’écrivait; « Ce que j’aime avec les stars, ce qu’elles ont toutes des noms resplendissants. Ce que j’aime avec les noms resplendissants, c’est que même les personnes les plus insignifiantes ont en un ».

Culture

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