« Not this one. Look, that’s the one with the yellow hat ». Dominant les conversations lancinantes, la voix de Billy résonne dans le « pub ». Par des gestes un peu boiteux, il tente de nous faire comprendre sur quel cavalier il vient de miser 500 livres. « Shit ! ». La ligne d’arrivée est franchie, mais son cheval ne termine que second. Attablé avec ses deux amis dans un bar proche de l’Emirates Stadium, Billy, décontracté, est l’un de ces inconditionnels. « J’ai commencé à supporter Arsenal en 1971. Je m’en rappellerai toute ma vie. C’était un gros match, la finale de la FA Cup entre Arsenal et Liverpool, et quand Charlie George a marqué, je ne pouvais que devenir un « Gunner » (ndlr : supporter ou joueur d’Arsenal). Mes parents avaient acheté leur première télévision couleur exprès pour cette rencontre, et, à cette occasion, j’avais même bu ma première bière. J’avais 7 ans… » (rires).
Depuis, Billy en a vu, des matches d’Arsenal. Ce Boxing Day dont tout le monde parle ne semble en rien l’effaroucher. « Pour nous, le Boxing Day n’est pas vraiment une journée spéciale. D’ailleurs, jette un coup d’œil à la fenêtre. On est à une heure du match, et il n’y a aucune foule. C’est plutôt un truc de médias que de fans, en fait ». En Angleterre, le Boxing Day est à l’origine le jour des cadeaux. Sa tradition viendrait des récompenses octroyées aux serviteurs par les riches familles bourgeoises de la période victorienne, notamment pour le travail souvent massif généré par le repas de Noël.
Marshall, un enthousiaste quarantenaire partageant la table de Billy, déroule fièrement une écharpe rouge parsemée de badges d’Arsenal, avant de se souvenir : « mon meilleur Boxing Day, c’était il y a quatre ans, on devait affronter Stoke City. Mais il y avait tellement de neige, notamment sur les grands escaliers qui mènent à l’enceinte, qu’ils ont décidé d’annuler le match. Du coup, on a pu retourner au bar, et c’était très bien comme ça. » Non sans avoir d’abord pouffé, Billy reprend le fil; « souvent, dans les journaux, ils truquent les affluences, et en particulier le 26. Les membres du club ont la gueule de bois, et préfèrent rester à la maison. C’est le problème avec l’Emirates. Il y a davantage d’hommes d’affaires ou d’amateurs de football avec des moyens que de véritables supporters. Pour ce qui est de l’ambiance, je te le dis, on regrette vivement Highbury (ndlr : stade d’Arsenal jusqu’en 2006). Par contre, je le reconnais, la sécurité autour du stade est aujourd’hui bien meilleure. Avant, même si tu ne la cherchais pas, la violence pouvait venir jusqu’à toi. Ce n’est plus le cas. Là, il faut vraiment la vouloir pour la trouver ».
Pour autant, le Boxing Day reste l’une des journées les plus populaires du championnat anglais. Historiquement, les calendriers des rencontres, en Premier League comme dans les divisions inférieures, sont construis autour de la proximité. Ainsi, le 26 décembre est souvent l’occasion de derbys vrombissants, permettant aux fans de fêter leur club avec ferveur, et surtout sans perdre trop de temps de vacances dans les trajets. Vraisemblablement, la tradition s’est, ces dernières années, enrobée des tissus dorés de la « Business Premier League », comme on aime parfois l’appeler dans le Royaume. Marshall acquiesce; « bien sur, on profite de cette période pour organiser des événements bidons mais très lucratifs, ou pour faire grimper les ventes en merchandising. Mais finalement, qui ne le fait pas ? »
En fait, les aspects du Boxing Day sont aussi sportifs que communicationnels. Si le culte du club est matérialisé par la rencontre fans-joueurs lors du match du 26, les directions tentent également de rester proche de la valeur initiale; celle de la solidarité. Ainsi, à cette période, les joueurs des clubs de Premier League multiplient les visites dans les hôpitaux, tandis que les dirigeants s’activent aussi dans des campagnes de dons, en ne manquant pas de soigner leur image par la même occasion. Mais au-delà des éléments périphériques, le sport reste le principal enjeu. La succession de matches (trois en une semaine) au croisement des deux parties de la saison demeure un challenge conséquent pour les managers; « il s’agit de faire tourner sans faire perdre sa substance à l’équipe. C’est un équilibre délicat qui doit être trouvé. Au troisième et même au deuxième match, tu vois que les joueurs sont fatigués, ce sont seulement des humains ! Le niveau baisse. Mais il y a tellement d’argent en jeu, on ne peut rien faire contre ça. », explique Tom, le troisième compère. Si le spectacle se voit parfois être édulcoré par cette surcharge, au moins, il existe. C’est ce que semble exprimer les principaux protagonistes du football anglais, comme le manager de Chelsea José Mourinho; « nous avons les salaires que nous avons parce que les gens sont amoureux du foot. Donc s’ils veulent du foot, nous devons leur en donner, et j’adore faire ça. »
Comme pour valider les propos de Billy, les environs de l’Emirates ne grouillent pas de supporters déguisés ou de groupes bruyants, même quelques minutes avant le début de la partie. Quelques chants se baladent, s’arrêtent par ci, par là, mais ne semblent pas avoir envie de s’installer dans l’ambiance. La faute à la pluie ou à une tradition rabâchée, ne semblant plus séduire que les touristes ? Rien n’est moins sûr, les tourniquets d’entrée n’endiguent aucunement la foule. Les flux de visiteurs sont continus, et l’Emirates est prêt à user de l’inamovible perfection de son architecture pour les émerveiller. Au coup d’envoi, les tribunes semblent pleines. En tout cas, elles le seront dans les journaux.