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Moyens olympiques pour faim de Lyon

Pour ce long format, Boxing Day s'est approché d'une enseigne de proximité : l'Olympique Lyonnais. Cette dernière, s'apprêtant à inaugurer son titanesque "Grand Stade", peut revendiquer l'un des business model les plus illustres du football européen.

18.08.2015

Le ciel est mitigé en cette journée d’avril, gris, gorgé de nuages couleur jais en certains endroits et transpercé de divines lueurs en d’autres. La tendance est donnée, gros risque d’averses sur Lyon en cette fin de journée et pour le reste de la soirée. Le temps de trouver où se garer au mieux pour éviter les bouchons d’après match que déjà, on peut apercevoir, à trois heures du début de la partie, de nombreux supporters amassés sur la place à l’angle des avenues Mérieux et Jean-Jaurès. Des chants époumonés et des discussions passionnées parviennent même à se faire entendre à travers les vitres de la voiture. Une fois cette place rejointe, les oreilles sifflent.

Historiquement, lorsqu’on parle de derby, ce n’est pas à la France qu’on pense. On fait plutôt référence à l’Espagne et son «Clasico», à l’Italie, où se dispute le «Derby della Lanterna» opposant le Genoa et la Sampdoria. Ou encore à l’Angleterre, où se joue le traditionnel derby d’Angleterre entre Liverpool et Manchester United. Cependant, il suffisait de se rendre au Stade de Gerland ce dimanche 19 avril 2015, jour de match entre l’Olympique lyonnais et l’AS Saint-Etienne, pour découvrir qu’un derby de fougue et d’enjeu, cela existe aussi dans l’Hexagone. Le Stade de Gerland n’ouvre ses portes que dans deux heures, mais ses fidèles n’ont pas l’air de vouloir attendre son accueil pour hurler l’amour qu’ils vouent à leur club de cœur. «Lyonnais, Lyonnais! Lyonnais, Lyonnais, Lyonnais!».

Dans la joyeuse cacophonie ambiante, deux hommes se dégagent de la masse, donnant une impression de recul au milieu de la scène passionnée. Entre quelques explosions de pétards, ils expliquent: «Ce n’est pas toujours comme ça. Pour les grands matchs. Surtout pour les derbys, en fait. Les autres matchs sont beaucoup plus calmes.»

Le temps de faire connaissance avec Bernard et Rémi, un étrange sentiment se fait sentir: l’atmosphère s’électrise sur la place. Bientôt, l’odeur des fumigènes dresse une ondulante nappe de fumée rouge et bleue, tandis que la pluie redouble de vigueur. Si l’ambiance impressionne, elle souffre néanmoins d’une faille non négligeable; l’absence totale de supporters de l’AS Saint-Etienne. Officiellement, ceux-ci ont décidé de boycotter le derby en raison de mesures de sécurité jugées trop restrictives (déplacement en cars organisé par le club sous escorte policière depuis Saint-Etienne, nombre de places limitées à 600 entrées et octroi de ces places uniquement à Lyon après une fouille devant le stade). Ces précautions peuvent paraître disproportionnées pour un événement sportif, mais Bernard assure qu’elles sont tout à fait habituelles: «Je ne pense pas que ça soit pour des raisons de sécurité. A chaque fois, la sécurité est assurée de la même manière pour les derbys, à Geoffroy-Guichard ou ici. Vous voyez très bien autour de nous le nombre de policiers (430 agents de police selon BFM TV, ndlr), c’est juste une ambiance particulière et peut-être que les Stéphanois redoutent de venir parce que le match d’aujourd’hui devrait être remporté par l’OL.» Toujours est-il que ce boycott «non officialisé» pousse le dispositif de sécurité à se déployer comme si les Stéphanois faisaient le déplacement, et ce, afin d’éviter tout éventuel débordement de supporters s’étant déplacés hors du contrôle du club. Le comble de cette histoire est que les fans des «Verts» ont choisi de ne pas revendre leurs 600 places à l’Olympique lyonnais. Ce qui admet que la tribune de 2’400 places qui leur était assignée demeure absolument vide. Rémi lui, conclut simplement: «Moi, je trouve dommage qu’ils ne soient pas là.»

Bientôt, l’odeur des fumigènes dresse une ondulante nappe de fumée rouge et bleue

«Avec la construction du nouveau stade des Lumières, c’est peut-être notre dernier derby au Stade de Gerland les Gones. Il est hors de question qu’il ne soit pas une victoire écrasante sur les parasites!» A trente minutes du coup d’envoi, le message du speaker de l’OL est limpide, et les hostilités sont lancées. L’Olympique lyonnais est à la lutte pour le titre avec le Paris Saint-Germain et la victoire est quasiment obligatoire. Beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que cette saison, l’OL offre un jeu flamboyant basé sur l’offensive, tandis que l’Association sportive de Saint-Etienne (ASSE) s’appuie sur un bloc compact et une rigoureuse solidité défensive. Le plan de bataille, tout en opposition, est établi.

A un quart d’heure du coup d’envoi, les chants du fameux Virage Nord ne cessent de résonner. La mélodie laisse soudainement place à la présentation des équipes. Et là, une donnée interpelle. Les visages lyonnais défilant sur les écrans géants donnent une redoutable impression de jeunesse. Hormis Henri Bédimo et Christophe Jallet, âgés de respectivement 31 et 32 ans, les neuf autres lyonnais titulaires n’excèdent pas les 26 ans et la moyenne d’âge indique… 23 ans.

C’est cette même jeunesse qui se fait ressentir dans l’entame de match de l’équipe lyonnaise. Les premiers instants ont tout d’un siège fougueux du camp stéphanois. Ainsi, durant les 20 premières minutes, pas moins de dix tirs au but sont réalisés par les joueurs de l’OL, qui concluent logiquement cette domination par un but. La suite de la partie ne sera pas aussi favorable aux Lyonnais, se voyant être réduits à 10 après 30 minutes de jeu seulement. Malgré un joueur de moins et un but concédé sur penalty, les «Gones» obtiennent le nul (2-2), et sortent de la rencontre en héros fatigués, victorieux dans l’attitude. «Putain ! Ce qu’elle est belle, cette équipe» complimente peu après un animateur de l’ «After-Foot» sur la radio RMC. Le 110e derby rhodanien et dernier derby à Gerland s’achève sur ce goût mitigé. Mais en parallèle, une histoire plus profonde semble s’écrire. Une histoire qui ramène à ces visages étrangement juvéniles, là-haut, sur les écrans géants.

Ils s’appellent Alexandre Lacazette, Nabil Fékir, ou encore Corentin Tolisso. Tous répondent à la même caractéristique; celle de n’avoir connu qu’un seul club professionnel dans leur prometteuse carrière: l’Olympique lyonnais. En effet, si à ces trois noms vous ajoutez ceux de Maxime Gonalons, Samuel Umtiti, Jordan Ferri, Anthony Lopes et Clinton N’jie, la donnée est simple: les 80% de l’équipe ayant débuté le match contre Saint-Etienne sont issus du centre de formation de l’OL. Un phénomène ultra-rare dans le football d’aujourd’hui.

En décembre dernier, une étude de l’Observatoire du football (CIES) place l’Olympique lyonnais en deuxième position de la liste des meilleurs centres de formation d’Europe, juste derrière la maison barcelonaise. Honorifique, mais pas seulement. Cette classification prend en compte le nombre de joueurs formés évoluant au niveau professionnel. Sur les 31 «produits» mentionnés dans la statistique, 10 sont toujours lyonnais au jour d’aujourd’hui, tandis que 21 défendent les couleurs d’un autre club professionnel. Alors, si l’OL ne conserve pas systématiquement ses talents, il leur assure au moins de faire carrière au plus haut niveau.

Néanmoins, à la différence d’un mastodonte comme le FC Barcelone, le club rhodanien n’a pas la boîte assez large pour y mettre tous ses bijoux. L’exemple d’Anthony Martial est criant. Parti l’année passée de Lyon à Monaco pour un montant de 5 millions d’euros, il n’avait joué que quatre matches avec le groupe pro. Cette saison, il brille avec le club de la Principauté. Mais, à cause d’un besoin urgent de liquidités, les supporters lyonnais ont le sentiment que le talent a été bradé. Joueur de l’Olympique lyonnais de 2000 à 2008, le Suisse Patrick Müller nuance: «Par rapport à Martial, je ne sais pas exactement comment ça s’est passé… J’ai entendu deux trois bruits par rapport à cette histoire. Mais il n’y a que les dirigeants qui sachent vraiment. C’est aussi le joueur qui décide de rester ou de partir. Je crois que Lyon n’était pas contre l’idée de conserver Martial, mais lui voulait peut-être gagner plus que ce que proposait l’OL. Il y a peut-être un peu d’impatience. Je l’ai découvert dernièrement, c’est un super joueur.»

«Il y a vraiment une patte lyonnaise»

L’Olympique lyonnais a donc, à des degrés différents selon les périodes, toujours possédé une politique formatrice forte.  On ne peut que louer cet esprit venant nuancer le pouvoir de l’argent dans le sport. Toutefois, on est aussi poussé à interroger cette politique. Beaucoup la considèrent comme un impératif pour l’Olympique lyonnais, s’expliquant par les problèmes économiques du club liés en partie à de mauvais investissements sur le marché des transferts, ainsi qu’à la construction de son «Grand Stade» (le club a dû comptabiliser des déficits à la fin des quatre exercices précédents); d’autres la perçoivent plutôt comme une volonté exemplaire, qui doit être suivie pour un avenir plus éthique du football. Patrick Müller fait, lui, la part des choses: «De 2000 à 2008, c’était peut-être deux, trois, voire cinq joueurs qui intégraient le groupe professionnel, alors qu’aujourd’hui c’est dix ou douze… Il y a peut-être une forme d’obligation, mais en tout cas, cela marche. Et c’est beau! Je pense que le football, c’est cela! On ne peut pas dissocier centre de formation et première équipe. On gravit les marches et l’objectif, c’est de finir avec les pros. Tous les clubs ont envie de dispenser une bonne formation à leurs joueurs. Mais aujourd’hui il se trouve que Lyon fait la différence, c’est pour cela qu’on en parle..»

Pour rejoindre les dires de l’ancien défenseur central de Lyon, les résultats probants de cette saison amènent les médias et les spécialistes à se poser inlassablement la question suivante: «Quels sont les secrets du centre de formation de l’Olympique lyonnais?» Pour répondre à l’interrogation d’Eurosport, Rémi Garde (ex-directeur du centre de formation de l’OL) invoque l’historique du club: «Il y a plusieurs secrets de fabrication mais le plus important est l’historique du club en matière de formation. Il faut remonter assez loin, entre 1975 et 1980, pour se rendre compte que les gens qui composaient le club à l’époque ont mis en place des structures pour faire de la formation l’un des piliers du club.» Armand Garrido, entraîneur des moins de 17 ans, élargit: «On ne se contente pas de donner à nos jeunes une formation footballistique mais on fait en sorte d’éduquer des hommes. C’est aussi pour ça que les joueurs formés chez nous ont une identité lyonnaise très prononcée.» Cette identité, justement, Patrick Müller tente de la définir: «Je pense qu’ils ont vraiment une philosophie particulière. Tout le monde a envie d’avoir un jeu attractif, un jeu basé sur la technique, la conservation, la possession, un peu comme le modèle du Barça. On peut le dire, il y a vraiment une «patte» lyonnaise. Quand je vais à Gerland, je les trouve beaux à voir jouer et on sent qu’un travail profond a été accompli avant.»

A observer la jeune garde rhodanienne se dépatouiller sur le carré vert, certaines caractéristiques sont saillantes: vitesse, technique, cohésion. Mais pour produire, il faut de la matière première. En 2012, le site d’information lyoncapitale.fr s’est penché sur les méthodes de recrutement du club: «Toute l’année, des jeunes sont scrutés à la loupe par des observateurs, missionnés par le club. La priorité revient au vivier rhônalpin. Soixante à 70 % des pensionnaires du centre de formation de l’OL restent originaires de la région. Outre Patrice Girard, à temps complet sur l’Afrique, la région parisienne et le suivi des pôles espoirs (Dijon, Vichy, Clairefontaine, Aix-en-Provence notamment), quatre observateurs sillonnent les terrains de Rhône-Alpes, deux l’Île-de-France, un la région PACA et un la Suisse romande. Des partenariats avec des clubs de la région ont également été mis en place.» Le tout n’est pas de trouver les meilleurs, mais plutôt les bons profils: «L’important aujourd’hui c’est le jeu et la vitesse de la prise d’information, explique Gérard Bonneau, recruteur, à lyoncapitale.fr. Et ce, dès la préformation (12-15 ans). A un moment donné, je l’ai fait aussi, de prendre des grands et costauds. Autrefois, on raisonnait en termes d’individus. Mais à Lyon, on n’est jamais tombés non plus dans l’extrême physique. On a une culture de jeu.». Sur le même site, Florian Maurice, autre recruteur de l’OL, parle d’une base de données de joueurs appelée Scout 7: « C’est un outil très utile. Il permet d’avoir une mine d’informations et de pouvoir rédiger des rapports sur des joueurs qui peuvent être lus en interne.»

« On se retrouve tous à midi à la cafétéria pour manger. Il n’y a pas de séparation, c’est une ambiance saine. » Patrick Müller

Outre un recrutement pointilleux, le système de formation lyonnais cultive une autre grande valeur que la présidence du club cherche à défendre: l’esprit de famille. Autrement dit, le modèle social propice à l’épanouissement du joueur. Patrick Müller, habitué aux moindres recoins de Tola Volage, sait de quoi il parle: «Il y a toujours eu cet esprit, même en allant chercher les meilleurs joueurs à droite et à gauche. Quand je suis arrivé, c’était très famille. Je ne sais pas si vous arrivez à me citer un joueur de l’OL du début des années 2000… Ce n’était pas une équipe de stars! On a réussi à devenir champion parce qu’il y avait vraiment un état d’esprit dans le groupe, c’est le collectif qui a fait notre force. Aujourd’hui, on retrouve un peu cela, parce que c’est une équipe jeune qui lutte justement contre des grosses cylindrées comme le PSG ou Monaco, qui ont plus de moyens. Mais même quand Lyon avait les plus grands joueurs et pouvait prétendre gagner la Ligue des champions, il y a toujours eu un bel état d’esprit. Je crois qu’à la différence du PSG aujourd’hui, le recrutement était réfléchi et conçu pour durer.»

Plus largement, cette harmonie régnante serait, selon le Genevois, une valeur indéfectible à Lyon, dans tous les secteurs du club: «Ceux qui étaient au centre de formation dormaient sur place. Il arrivait qu’en phase de récupération, des joueurs de la première équipe aillent s’entrainer avec la réserve et vice versa. Des jeunes étaient intégrés pour certains matchs avec le groupe pro. Je pense que c’est pareil dans d’autres clubs. Mais au centre d’entrainement de Lyon, tout le monde est véritablement ensemble, il y a les filles, le centre de formation, le groupe pro, les employés du club. On se retrouve tous à midi à la cafétéria pour manger. Il n’y a pas de séparation, c’est une ambiance saine.»

A en croire Patrick Müller, Tola Vologe aurait tout du cadre idyllique pour œuvrer sereinement. Dans n’importe quel secteur, même celui du football féminin. En plein essor, la section professionnelle féminine vient tout récemment de remporter son 13e titre de championne de France, le neuvième consécutif. Ce nouveau trophée vient s’ajouter à un palmarès déjà bien garni, notamment par deux Ligue des champions consécutives en 2011 et 2012. Les femmes du club ont réalisé un rêve que le président Aulas n’a pu que caresser avec les hommes. Cette réussite de l’OL ne doit rien à la providence, pour l’ancien capitaine des «Gones»: «Je crois que le président Aulas a été le premier à donner cette dimension au football féminin en France. Il n’a pas seulement donné l’opportunité à des femmes de jouer au football, à mon avis, il avait une véritable ambition de faire parler du football féminin et de l’Olympique lyonnais grâce à ses succès. Maintenant, il y a Paris qui vient concurrencer l’OL féminin en se calquant, je crois, sur le modèle lyonnais. On commence de plus en plus à avoir des équipes féminines portant le même nom de club que les hommes: l’OL, le PSG, Arsenal, c’est quand même plus attrayant que Potsdam, sans vouloir faire offense à ce club bien sûr. Et ça, à mon avis, l’OL l’a bien compris, notamment d’un point de vue merchandising.»

Abondance, transition et investissement

Mais la brillance sportive du club rhodanien n’est pas le fruit d’une illustre coïncidence qui aurait fait se rencontrer les bons dirigeants, les bons entraîneurs et les bons joueurs au bon moment. Si l’OL sait bâtir le succès et produire des futures stars, c’est peut-être parce que le club a incrusté de robustes notions de construction dans ses modèles sportifs et économiques. L’Olympique lyonnais est sans nul doute le premier club français à avoir été pensé, développé et géré comme une véritable entreprise: l’OL Groupe.

D’ailleurs, un simple clic sur la page internet investisseur.olympiquelyonnais.com suffit pour déceler les rouages économiques de la machine lyonnaise. Telle une firme qui dure, l’OL connaît des cycles d’abondance (la période de croissance ultime et les sept titres de champion de France de 2002 à 2007), de transition (la réorientation de la stratégie vers la formation pour pallier aux difficultés financières des années 2010) et d’investissement (l’arrivée du nouveau stade en 2015). La finalité de cette adaptation constante à l’environnement dynamique qu’est celui du sport professionnel reste le maintien de la qualité du produit: la performance. «Les grands dirigeants font les grands clubs», lâche Lucio Bizzini, ancien international suisse. Et comme rarement dans le milieu du sport, le succès économique de l’Olympique lyonnais doit être personnifié.

Quand Jean-Michel Aulas débarque à la présidence de l’OL en 1987, rien ne prédestinait une histoire aussi foisonnante entre les deux parties. Avant d’être nommé «par hasard», selon L’Express, à la tête du club luttant alors en deuxième division hexagonale, Aulas est une nouvelle figure du monde des affaires français, fort d’une «success story» bien de l’époque. A 19 ans seulement, ce fils d’enseignants lance sa première boîte d’informatique, Cegi, qu’il vend deux ans plus tard. En 1983, sur sa lancée, il fonde Cegid. Quelques ventes de software de gestion d’entreprise plus tard, Aulas a gagné son argent, et, surtout, comme le rapporte L’Express, son réseau: «Autour de lui gravitaient déjà quelques personnalités: Louis Thannberger, l’influent président d’Europe Finance et Industrie, numéro 1 européen des introductions en Bourse de PME, ainsi qu’une brochette de notables, membres du Prisme ou du Cercle de l’union, deux cénacles où se retrouvent les principaux décideurs économiques de la ville de Lyon.»

Un président, homme d’affaires fortuné, porté en héros par les classes populaires.

Puis, en 1987, quand l’OL connait une phase suffisamment morne pour faire surgir de nombreux débats quant à son modèle de gestion, voici que Bernard Tapie, alors animateur de l’émission «Ambition» sur TF1, vend le nom de Jean-Michel Aulas au journal Le Progrès comme homme providentiel. S’ensuit un engrenage médiatique qui finit par placer Aulas à la tête du club. «Ce n’est pas uniquement grâce à ça que je suis devenu président, relativise Aulas, mais le déclencheur médiatique a joué son rôle. Je n’aurais sans doute pas été président de club à ce moment-là sans ce concours de circonstances, car je n’en avais pas les compétences à l’époque», s’est-il confié au média slate.fr.

Très vite, Aulas joue sur l’ambition (il déclare notamment vouloir «une qualification européenne dans les trois ans»), l’ego et l’esprit de contradiction pour faire parler de son projet. «Aulas, il y a deux façons de le voir. Du point de vue des supporters, admirateurs ou employés de l’OL, et de celui de tous les autres, qui peuvent le trouver irritant», lance Patrick Müller. Mais, surtout, il est loin d’être un président à l’influence purement institutionnelle: «Je retourne souvent à Lyon, je le croise régulièrement, et il est extraordinaire, confie l’ex-capitaine lyonnais. Il est là quand il faut, il descend dans les vestiaires s’il faut recadrer. Il est proche des joueurs, il les protège. J’adore, j’admire le personnage. Quand on regarde son bilan, quand on regarde ce qu’il a fait à Lyon…».

Quand par exemple les supporters de Manchester City hésitent entre acclamer et conspuer leur président Al Mubarak, mécène fondateur du succès contemporain des «Skyblues», mais aussi accusé d’avoir noyé la culture du club sous des litres et des litres de pétrole, on peut au contraire régulièrement entendre les virages de Gerland scander «Aulas, Aulas!» en pleine rencontre. Un président, homme d’affaires fortuné, porté en héros par les classes populaires. L’image connote un terrible stéréotype, mais fait revenir à Aulas ce qui est à Aulas. En bon chef d’entreprise, le Rhodanien a respecté les phases: sauvetage-assainissement, stabilisation en première division, puis, croissance.

En 1999, exactement dix ans après la montée en Ligue 1, un investissement colossal du groupe Pathé (104 millions de francs) permet à l’OL de rentrer dans une nouvelle dimension: celle du succès. La voie est ouverte par un tacle rageur et buteur de Patrick Müller, au mois de mai 2001: «C’est sûr que, en tant que défenseur, les buts que j’ai marqués, je m’en souviens. J’arrivais à Lyon, c’était un gros transfert, j’avais la pression. Les Lyonnais se posaient la question: “Pourquoi avoir investi autant d’argent sur un Suisse?“ Et c’est vrai que ce but en finale de la Coupe de la Ligue contre Nantes m’a permis de faire ma carrière dans la défense de l’OL. Quand je retourne à Lyon, les gens me parlent tous de ça. C’est surtout le premier titre qui lance la série des sept championnats consécutifs…»

Processus de capitalisation

Parallèlement à ce succès sportif détonnant (l’OL ne devient pas seulement une grosse écurie en France, mais aussi au niveau européen où le club brille en Ligue des champions), et, surtout, durable (étalé sur 7 ou 8 ans), Aulas entame alors un processus de capitalisation monstrueux. L’équipe de football Olympique lyonnais, raccourcie à OL, devient une véritable marque, se déclinant en de multiples (et insolites) canaux économiques: OLStore, OLTaxi, OLCoiffure (où les coupes des cheveux des joueurs phares sont proposées), OLBoissons, OLMobiles, OLVoyages ou encore OLGourmet. Jamais un club sportif français ne s’était décomposé en autant de licences. «Seuls les grands clubs ayant des revenus périphériques peuvent ambitionner d’être parmi les meilleurs européens», justifie Jean-Michel Aulas.

Quant au «trading» de joueurs, Aulas ne rougit pas devant ceux qui affilient cette activité à de la traite d’êtres humains. Au contraire, le site d’OL Groupe recense l’affaire comme un créneau d’exploitation parfaitement officiel, au même titre que la billetterie, les droits TV ou le «merchandising». D’ailleurs, à son pic, l’Olympique lyonnais s’en est même fait une spécialité. Effectuant son marché en Amérique du Sud ou dans des petits clubs français, Aulas revend au Real Madrid ou à Chelsea. «A cette période, de grosses plus-values ont été réalisées», confirme Patrick Müller.

Aussi, le président lyonnais profite de son essor sur la scène européenne pour étendre son fameux réseau. En diplomate averti, Aulas mise sur l’estomac, installant un partenariat gastronomique avec une autre figure lyonnaise; Paul Bocuse, 3 étoiles Michelin, considéré comme l’un des meilleurs chefs du monde («cuisinier du siècle» et «pape de la gastronomie» pour Gault et Millau) et tenant plusieurs «bouchons» dans la région lyonnaise (dont L’Argenson, un restaurant cofondé avec Aulas à quelques mètres de Gerland). La tradition d’inviter le «board» du club adverse à s’essayer au cervelas truffé ou au gratin de homards avant les matchs de Ligue des champions installe très vite cet OL «nouveau riche» comme un club de goût. «Au tirage au sort, la première réaction de l’adversaire, c’est: “Super, on joue contre l’OL, on va donc dîner chez Bocuse”. Ça fait sourire, mais c’est l’image qu’on essaie de renvoyer. Bocuse et l’OL sont les deux leviers de communication de la ville de Lyon », s’est confié Aulas au JDD. Pour le même journal, Aulas témoigne de son pointillisme: «En règle générale, j’essaie de montrer que le homard ou la langouste peuvent être traités de manière différente par Bocuse. Après, je choisis un plat plus typiquement lyonnais.» «Souvent de la volaille de Bresse, précise Paul Bocuse pour le JDD, avant d’ajouter: M. Aulas fait dans le classique parce qu’il veut que ça plaise à tout le monde. Il aime les plats simples et les desserts traditionnels comme le Paris-Brest.» En parlant de table, Aulas et son OL se sont même invités à celle du G14, ancienne organisation de lobbying des clubs de football professionnel les plus puissants, importants, influents et riches d’Europe (selon Wikipedia). Bien qu’aujourd’hui l’entité aux allures de cartel ait disparu, Aulas en a été… le président.

Mais, à l’instar d’un Winston Churchill, l’un de ses modèles, Aulas se veut optimiste. La difficulté est opportunité.

En 2009, alors que l’OL est sacré champion d’automne, le club rhodanien se fait prendre le titre par la dégaine «lunettes-touillettes» de Laurent Blanc et son très joueur Girondin de Bordeaux. La phase de croissance touche à sa fin et Aulas, à l’image de ses attaquants de l’époque, manque d’efficacité comme rarement. A la suite de cette première déconvenue en huit ans, un recrutement estimé à 70 millions d’euros, censé redonner de l’allant à la machine et maintenir l’hémogénie lyonnaise sur le football français, donne un retour sur investissement bien faible.

Outre les choix sportifs, Aulas fait, en 2007, rentrer son club en bourse (inédit dans l’histoire du football français), décision que le journal Le Figaro n’hésite pas à qualifier de «fiasco».  Trois ans plus tard, le conseiller du président Aulas, Bernard Lacombe, annonce la couleur sur la chaîne télévisée du club OL TV: «Il ne faut pas s’attendre à ce que nous fassions venir des joueurs de très haut niveau car nous n’en avons pas les moyens aujourd’hui. Depuis trois ans, nous avons beaucoup dépensé sans rien gagner».

Mais, à l’instar d’un Winston Churchill, l’un de ses modèles, Aulas se veut optimiste. La difficulté est opportunité. Et c’est à Tola Vologe que les prémisses de sa stratégie se font remarquer. A la place d’acheter bas et de vendre haut, l’OL vise aujourd’hui une création de valeurs à 100%. «Aulas sait l’importance que cela peut avoir, la formation, explique Patrick Müller. Cela fait deux, trois ans qu’il ne joue pas la Ligue des champions, ce qui représente un gros manque-à-gagner, mais il sait s’adapter. Aujourd’hui, avec le fair-play financier qui limite fortement les dépenses, la formation est un créneau génial. Grâce à ses pépites, l’OL arrive à concurrencer des clubs comme le PSG sans presque rien avoir à investir, c’est extraordinaire. Mais je ne pense pas qu’Aulas souhaite réellement conserver ses talents. C’est trop difficile de résister à certains gros acheteurs d’Espagne ou d’Angleterre. Le but, c’est de bien former, de bien vendre, et d’investir ensuite.». En bon businessman, Aulas sait aussi faire monter les enchères, n’hésitant pas, par exemple, à comparer Nabil Fékir (son jeune attaquant formé au club) à Lionel Messi. Peu objectif, mais vendeur. Et les médias achètent. L’Équipe multiplie ainsi les articles sur le soi-disant prodige, tandis que Didier Deschamps le convoquait en Equipe de France pour la première fois il y a quelques semaines.

Toutefois, l’avenir de l’Olympique lyonnais se trouve moins dans les jambes de ses talents que dans les tribunes de son nouvel écrin. «Le Grand Stade» ou «Stade des Lumières», pointe la vision du club depuis de nombreuses années. Patrick Müller l’atteste: «Quand j’étais encore à OL, on nous annonçait que l’on comptait sur les joueurs actuels pour le projet du Grand Stade. Je pensais vraiment que j’allais pouvoir y jouer». Entre le départ de l’ex-international suisse en 2008 et l’inauguration du stade agencée au mois de décembre 2015 (pour coïncider avec la Fête des lumières), les péripéties, les oppositions surtout, ont été nombreuses. En décidant d’installer l’enceinte à Décines, une commune périphérique de l’agglomération lyonnaise, le chantier est de taille, surtout au niveau des liaisons routières entre le site et la ville. En janvier dernier, le magazine français Télérama consacre même sa une, débordante de scepticisme, au projet d’Aulas. A l’échelle humaine, l’histoire de l’expropriation de Philippe Layat, agriculteur de la région, a même été relayée par le quotidien Le Monde.

économie circulaire

Si l’Euro 2016 a fait pousser nombre de nouvelles enceintes en France (Bordeaux, Lille ou encore Nice), le projet de Jean-Michel Aulas est parfaitement inédit. Le dessein est colossal, à la limite de la mégalomanie. Estimé à 450 millions d’euros, son stade, exclusivement financé par des fonds privés, sera la propriété d’OL Groupe. «Il n’y a qu’à prendre l’exemple du Servette, compare Patrick Müller. Louer un stade, c’est extrêmement couteux. Aujourd’hui, le modèle tendance, c’est d’être propriétaire de son stade, de ne pas sortir de loyer, et d’avoir une zone exploitable autour du stade qui peut générer des gros revenus de consommation.» Hôtels, restaurants, parkings, terrains d’entraînement, boutiques… Le «parc Olympique lyonnais» éloignera, affectivement comme géographiquement, le club de sa ville, pour le rapprocher d’un concept de parc d’attraction (le stade sera couvert d’écrans géants), de machine à spectacles… et à sous. Mauvais pour l’ambiance, bon pour les affaires. Interviewé par le magazine News Thank, Aulas voit gros pour les revenus potentiels de l’arène: «On est parti sur une estimation qui pourrait atteindre 50 millions d’euros dès la première année et on espère dans ce business plan tendre à 70 millions d’euros annuels à l’horizon quinquennal». Le dirigeant ne rechigne pas à dévoiler son modèle que Le Figaro a analysé: «De manière logique, le président lyonnais a fait le choix délibéré de concentrer ses investissements sur les deux actifs les plus durables d’un club, sous condition d’en être le propriétaire: le centre de formation et le support physique, c’est-à-dire le stade.» Vraisemblablement, l’objectif de l’OL réside en la création d’une économie circulaire, se donnant (enfin) les moyens de conserver durablement ses meilleurs joueurs en s’alignant sur les salaires des gros clubs recruteurs, tout cela grâce aux recettes du Grand Stade.

Alors que Télérama jette le pavé dans la mare: «Jean-Michel Aulas aurait-il eu les yeux plus gros que le ventre?», Patrick Müller apaise: «Aulas sait ce qu’il fait. Il a toujours eu un coup d’avance». Reste à savoir si l’OL, club de sport absolu dans sa région, réussira à remplir les 59’000 places du Stade des Lumières. Pour cela, il s’agira de développer de nouvelles stratégies marketing, ne se réduisant pas à la simple mise en valeur de la communauté et de l’équipe, mais visant un élargissement massif de la «fan-base». Quitte à s’exporter pour devenir une véritable marque à valeur touristique: «Nos cibles se trouvent à Londres, Paris, Bruxelles ou Genève», déclare Aulas à News Thanks. Et si le football ne suffit pas, il restera toujours la gastronomie lyonnaise.

Économie

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