New York, où le soccer regarde vers le haut

La saison 2015 de MLS, le championnat de football nord-américain, est marquée par l’arrivée de l’ambitieux New York City FC. L’occasion pour le soccer d’explorer son potentiel au sein de la mythique ville.

09.08.2015

La traversée du Brooklyn Bridge Park offre une acoustique saccadée. Le long du chemin côtier, la vue sur les tours du Lower Manatthan étouffe de sa puissance la moindre exclamation. Le sentier continue, et se rapproche des « jetées »; illustres rectangles de béton agrippés au littoral, formant des presqu’îles artificiels. Sur la cinquième, trois terrains de football synthétique déploient des crissements d’amusement. Un soleil de fin de journée y escorte plusieurs groupes occupés au soccer, et colorie d’orange l’édifiante skyline.

NewYork

Article publié le 9 août 2015 dans « Le Matin Dimanche »

Un décor majestueux pour des prouesses plus modestes; le jeune Owen s’achoppe à chaque changement de direction. « Prends ton temps, ce n’est pas grave », encourage son entraîneur privé, Arash, d’origine iranienne. A New York, le football « à l’européenne » s’apprend aussi par des cours individuels. « Au niveau scolaire, le soccer n’est pas aussi pratiqué que les sports du Big Three (ndlr : baseball, basketball et football américain) » justifie Arash. Owen, gamin de Brooklyn à la crinière blondinette, a découvert le soccer « l’été dernier, pendant la Coupe du monde », et s’est dit « que c’était vraiment un sport cool. » Pour son mentor, « le football a beaucoup grandi ces dernières années à New York, principalement grâce à la médiatisation. » Mais lorsqu’on évoque l’avenir de son métier, Arash change brusquement de ton : « Ici, les méthodes de formation sont catastrophiques. Ils essaient de développer le soccer comme ils développent les autres sports. C’est un problème culturel. »

Historiquement cosmopolite, New York est un bassin de cultures, justement. Et celle du soccer ne se laisse pas caresser par de simples flâneries dans le quadrillage de Manhattan. Pourtant, elle existe et, à l’image de la ville, tente de se bâtir ambitieusement. A quelques rues de l’Union Square, carrefour au sud de l’Île, on y trouve le Neveda Smiths, bar-référence des footeux new-yorkais. Son accès passe par un long couloir dont les murs rougeâtres sont habillés de maillots dédicacés. « Je l’ai appelé « le tunnel » », clame le patron du lieu, fier d’une originalité discutable. Paddy McCarthy, sexagénaire osant une longue chevelure grise, aurait racheté les locaux « pour des peanuts » il y a 4 ans, avant de les transformer en bastion du ballon rond. « Viens voir par toi-même, tous les soirs de match, c’est plein ! A la base, mes clients sont des immigrés mexicains, sud-américains ou européens. Mais maintenant, il y a aussi des Américains qui ont rejoint le réseau. Ils consomment de tout, de la Premier League, de la Liga, de la Ligue 1… » étale Paddy. Et la MLS ? « Bien sur que les gens s’y intéressent. Enfin, gentiment. L’arrivée des stars européennes comme Beckham, Henry et maintenant Lampard a beaucoup aidé » conçoit-t-il. Puis, le tenancier freine son enthousiasme : « Mais je dois avouer que, par rapport au nombre de pratiquants, l’intérêt pour le soccer reste faible ».

 

 

Statistiquement, le ballon semble rouler au pays de l’Oncle Sam. D’après une étude du « Sportbusinessdaily » parue en 2014, le soccer serait le second sport le plus pratiqué par les jeunes étasuniens, derrière le football américain. Au niveau féminin, l’équipe nationale vient tout juste de remporter son troisième championnat du monde, consacrant le meilleur palmarès de la planète. « C’est fou, il devrait y avoir une « fanbase » bien plus large. Les jeunes y jouent beaucoup, mais peu d’entre eux ressortent de leurs années de pratique avec une réelle passion », juge le patron du Nevada Smiths. Selon lui, le soccer, « c’est un peu comme l’art à l’école. Une fois que les cours sont finis, tout le monde s’en fout. On en fait parce que c’est sympa, parce que maman vous amène et vient vous chercher. » La dernière phrase, provocante, entraîne la problématique vers le système de classes : « Aux USA, tout le monde se dit être de la classe moyenne. C’est bien connu : la méritocratie, l’égalité des chances…» continue Paddy. Entre d’innombrables « you know », il développe : « Mais ce n’est pas la réalité économique ! Les parents aux revenus modestes n’ont aucune chance de faire grimper leur fils ou leur fille à travers les échelons de l’élite du soccer, parce que c’est trop cher. Le résultat, c’est que les familles immigrées, qui pourraient réellement apporter une culture du foot à notre pays, n’ont pas de réel accès à ce sport. »

Peu après la Coupe du Monde 2010, Jürgen Klinsmann, actuel sélectionneur des USA, avait justement dénoncé le principe purement étasunien du « pay-to-play » : « Vous payez pour que votre enfant puisse jouer au football. Pourtant, votre but n’est pas qu’il devienne professionnel, mais qu’il intègre une haute école, ce qui est l’opposé total du reste du monde. » En l’absence d’une culture de masse propice à engendrer des talents par le foot de rue, le soccer doit donc faire son chemin à travers des institutions coûteuses, mal organisées, voire incompétentes. « A New York, il y a des tonnes de centres de formation, de clubs pour les jeunes, tu n’as qu’à chercher sur internet », confirme Paddy. « Il y a même des initiations organisées en plein Central Park. Mais tout cela, c’est du vent », balaye t-il.

"Frank Sinatra le chantait; pouvoir le faire ici, c’est pouvoir le faire n’importe où. » Paddy, tenancier d'un sport-bar

Du côté de la brillante enceinte des Red Bulls de New York, dans le quartier new-jersiais d’Harisson, la perplexité est aussi de mise, tant le soccer, vendu par hurlements, ressemble à un murmure. « Cela fait 4 ans qu’on vient soutenir les Red Bulls avec un pote. Il y a une belle ambiance, des sacrés stands de nourriture, et le stade est pas mal », témoigne Matt, la trentaine. Entre deux « onions rings », il répond : « Si je connais les joueurs ? Il y avait Henry, mais maintenant qu’il est parti, je ne sais même pas si je pourrais t’en nommer un. » Juste avant de retourner à ses pintes, Paddy conclut : « Malgré la fondation du Cosmos et les arrivées de Pelé et Beckenbauer dans les années 70, le soccer n’a jamais vraiment percé à New York. Pourtant, son émancipation doit obligatoirement y passer. Frank Sinatra le chantait; pouvoir le faire ici, c’est pouvoir le faire n’importe où. »

21h00, la nuit gagne le Brooklyn Bridge Park où les jardiniers se mettent à empiler les chaises de métal écumant la rive. Owen termine son entraînement en sueur, fatigué par ses jongles hasardeux. « Peut-être que dans 5 ans, les choses seront différentes » lance le coach Arash, jetant un regard mi optimiste mi résigné au ciel, encore bien trop haut, de Manhattan. Alors que les trois terrains de football se vident, les tonalités animant le parc persistent. Sur la « jetée » 4, celle des terrains de basket, la foule est toujours aussi dense.

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