L’Angleterre du foot, industrie du rêve

Pour perpétuer son succès, l’Angleterre du football exploite une gigantesque manufacture. La détection et le recrutement sont les premiers leviers d’un business bâti sur de fragiles espoirs de carrière.

28.02.2016

Il peut jubiler. En terre britannique, le football a réussi à dépasser sa condition. Loin des visages charbonneux et des usines brunâtres qui le définissaient autrefois, son aura actuelle ramène plutôt à la brillance monarchique. En 2015, les droits TV tombés dans l’assiette de la Premier League se sont chiffrés à 2,35 milliards d’euros. « Ici, l’industrie du ballon a atteint des proportions démesurées », lance Sean Faulker, ancien employé du Chelsea FC. Mais ce fulgurant succès ne serait possible sans une énergique manufacture; celle du recrutement et de la formation de champions. Reconverti en prof de fitness, Sean Faulker fut l’un de ces fameux « scouts »; chasseurs de talent parcourant toutes les pelouses du pays, dont les plus miteuses, en quête du futur Franck Lampard. « Le football est un consommateur d’énergie, de tendons, de ligaments… Si vous voulez que les turbines continuent de fonctionner, vous devez alimenter la machine. C’était mon boulot pendant 7 ans » lâche-t-il.

Recrutement

Article publié dans « La Matin Dimanche » du 28 février 2016

Force est de constater qu’outre-Manche, la question de la relève est de plus en plus soulevée. A raison; 60% des joueurs qui foulent les pelouses rosées de Premier League sont étrangers. Par sa puissance financière, le championnat anglais importe, mais semble incapable de former. « C’est une grande préoccupation. Le premier indicateur, c’est l’affaiblissement de l’équipe nationale. Les clubs tentent d’y remédier en mettant toujours plus de moyens. » analyse Sean Faulker.

Depuis 2003, le Dailymail indique que le président de Chelsea Roman Abramovitch aurait investi plus de 100 millions de livres dans son academy. De cette fortune imputée au futur, les détecteurs n’y voient que des miettes : « J’avais un salaire fixe, et puis, il y avait des bonus pour tous les joueurs que j’arrivais à faire signer. Mais cela me suffisait à peine pour vivre ». Le Londonien admet que « le boulot est plutôt ingrat », et qu’« à force de passer ses week-end à regarder du football, le cerveau sature ». « Qui plus est, les matches les moins passionnants sont les plus importants. C’est souvent quand la dynamique de performance est au plus bas qu’une étincelle se manifeste… » rajoute-t-il.

Massa salariale trop considérable

Professionnel du milieu, le Suisse Walter Palombo, fondateur de l’agence « Palombo International Sports Management » basé à Édinbourg, profite de l’ambiance apaisante d’un bar veveysan pour se raconter : « Alors joueur pro à Sharmrock Rovers (ndlr : club de première division irlandaise), j’avais un agent écossais qui s’occupait de footballeurs et de chanteurs, dont George Michael et le groupe Oasis. Il m’a dit qu’il voulait laisser le foot de côté. J’ai sauté sur l’occasion. »

Sur l’île, les affaires de Walter Palombo, qui fait Glasgow-Genève « chaque semaine, pour voir la famille », semblent aller bon train : « On s’occupe d’Andy Carrol, et on est dans le team de Jack Wilshere. En plus de nos trois internationaux écossais, on gère les droits marketing de Gattuso et de Julian Dick, coach assistant à West Ham. » L’ancien ailier du Servette avoue que, sur la chaîne de recrutement, les agents se fixent au bon maillon : « Alors que nous percevons un pourcentage sur les revenus de nos joueurs, les « scouts », eux, sont payés par les clubs. En Premier League, seuls les « chiefs scouts » des grandes équipes sont pro’, et ils ne font pas fortune. ».

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Le système serait-t-il mal fait ? « Aujourd’hui, la manne financière est trop concentrée sur les joueurs, peu importe qu’ils soient Anglais ou non, formés en Angleterre ou non. Notre football ne devrait pas renier son identité, son style de jeu et ses nombreuses professions » avait déclaré Sean Dyche, manager de Burnley, à la BBC. De plus en plus jeune et de plus en plus loin, les grosses enseignes n’hésitent pas faire détonner leur pouvoir d’achat pour rapatrier les génies potentielles : « C’est un peu la pêche avec de gros filets », développe Walter Palombo. « Pour les clubs de Premier League, les dépenses en recrutement junior ne représentent pas grand-chose par rapport à leurs ressources. On le remarque surtout avec ceux qui viennent de loin. Il y a énormément d’Australiens et de Néo-zélandais dans les academy. Si les joueurs sont mineurs, ce qui est souvent le cas, le club s’arrange pour faire venir les parents en leur dénichant un emploi, une maison, plus une bonne prime. Mais ces gars, où seront-ils dans 10 ans ? »

« Comme ils stoppent leur scolarité très tôt, l’avenir est délicat pour les nombreux laissés pour compte » Walter Palombo, agent

La question refroidie, la réponse glace. Selon les statistiques de la Football League, sur les 10’000 juniors qui fréquentent les academy, seul 1% d’entre eux vivront de leur sport. Alors que ces « apprentis » ne feront plus que du football à partir 16 ans déjà, il faut ordinairement attendre la majorité pour que les meilleurs se voient offrir un contrat professionnel. Et, toujours selon ces statistiques, seul un tiers de ces élus seront encore dans le circuit à 21 ans. « Comme ils stoppent leur scolarité très tôt, l’avenir est délicat pour les nombreux laissés pour compte » soupire Walter Palombo.

Néanmoins, malgré l’aisance financière, l’ampleur du travail recrutement-formation ne serait pas à négliger : « Dans la salle de recrutement de Finch Farm (ndlr : le centre d’entraînement du club d’Everton), vous avez des rapports sur des milliers et des milliers de joueurs… Les directeurs sportifs travaillent déjà sur la composition de l’équipe des cinq prochaines saisons. C’est un travail de titan, surtout quand on voit qu’Everton ne recrute que deux ou trois joueurs par an… » Bien qu’« à Chelsea ou à Manchester City, on peut évidemment se permettre plus de folies », l’agent insiste que rien n’est laissé au hasard : « Peut-être que United a choqué la planète en déboursant 60 millions d’euros pour Anthony Martial, 19 ans et quasi aucune sélection. Mais les dirigeants savent très bien ce qu’ils font. Martial, ils le suivent à la trace depuis 5 ans. A Old Trafford, vous trouverez facilement deux armoires remplies de classeurs sur lui. »

Éloigné de ces tractations épiques, Sean Faulker concède son désenchantement : « J’ai arrêté, je n’aimais pas l’idée d’alimenter un star système dont j’étais loin, très loin de faire partie ». Avant de clore, il ajoute : « En fait, le football moderne vit très bien grâce à eux : le mythe et l’espoir. » Comme un ballon, le rêve est une affaire qui roule.

Société

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